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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/979

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grave, et l’on peut dire qu’il périt de la même mort. Dès qu’il n’y a plus de représentant de la famille, le fisc arrive, et, par l’effet du droit de retour, s’empare de la propriété, en restituant la faible somme qui a pu être payée pour l’investiture. A de telles conditions, la propriété n’est qu’une sorte d’usufruit d’une durée plus ou moins longue, dans lequel le chaos ne tarde pas à se mettre ; car ces biens, substitués à l’infini, ne sont point constitués en majorat, ce qui aiderait au moins à les reconnaître. Ils peuvent être et sont chaque jour assignés en dot à des filles, partagés entre de nombreux enfans ; les uns engagent leur part, les autres la gardent ; les domaines se composent et se décomposent avec des terres des origines les plus diverses. De là la rareté des ventes de biens-fonds, la vileté des prix quand ces ventes s’accomplissent ; le plus souvent on se contente de mettre les biens en gage pour un certain laps de temps. Le propriétaire ne trouve pas davantage à emprunter à un taux raisonnable : comment fournirait-il une hypothèque solide sur une terre qui, demain, peut lui être enlevée ? De là aussi des procès sans fin, lorsque ces événemens divers se réalisent. Il n’est pas besoin d’entrer dans de grands détails pour que l’on comprenne ce qu’un pareil système amène de gêne, de misère et de fraude pour tout le monde. On ne s’étonne plus quand on apprend que ces immenses fortunes des magnats hongrois, riches de plusieurs millions de revenus, sont, au bout de quelques générations, placées sous un séquestre judiciaire qui les administre pour le compte des créanciers.

Dans la pratique, l’activité de l’intérêt personnel a cherché à se soustraire à cette mauvaise législation ; elle n’a réussi, par des ruses très ingénieuses si l’on veut, qu’à créer une quantité déplorable de procès, pâture d’une légion de gens de loi. Ces stratagèmes judiciaires, en conservant quelque temps telle propriété dans les mains de l’acquéreur, ne font qu’ajouter aux vices généraux du système. C’est ici plus que nulle part ailleurs que se vérifie le proverbe : « Qui terre a guerre a. » Toutes les imaginations de la chicane sont en éveil. Comme il y a des ingénieurs plus habiles à attaquer les places et d’autres à les défendre, on a des avocats dressés, les uns à revendiquer, les autres à conserver les héritages. Entendez les premiers, ils vous démontreront, la loi en main, qu’il n’y a pas en Hongrie une seule propriété inattaquable. Qu’importe, répondent les autres, si vous restez toujours en possession ? Il ne s’agit pas tant de discuter si la place est imprenable que de s’arranger pour qu’elle ne soit jamais prise. « Il y faut de l’art, sans doute ; mais c’est à cela que nous sommes bons, me disait un jeune avocat que je consultais sur ces matières. Je viens, par exemple, d’acheter une terre dans le comitat de Komorn ; j’ai eu soin de faire inscrire dans le contrat une somme double de celle que j’ai effectivement payée : première difficulté pour la famille du vendeur, si elle