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pendant jusqu’à deux cent vingt-sept représentans qui auraient voulu pénétrer plus au fond, et savoir comment le ministère entendait s’y prendre pour les faire sauter par les fenêtres. M. Mathieu (de la Drome), l’orateur de cette minorité soupçonneuse, a daigné reconnaître lui-même que les fenêtres étaient trop élevées.

Enfin est venue la troisième délibération sur la loi électorale, et deux ou trois incidens l’ont seuls jusqu’ici marquée. La montagne, par exemple, voulait que les soldats pussent choisir leurs députés même en campagne et voter jusque sous le canon de l’ennemi. La montagne avait bien ses raisons, et ce n’est pas la tactique qui lui manque : c’est l’art de la dissimuler. La république rouge qui a traité l’armée avec de si étranges égards, qui la réduisait si bas après février, qui la chassait de Paris avec de si fiers dédains, la république rouge entreprend maintenant de persuader à l’armée qu’elle n’a nulle part de frères plus dévoués que les montagnards ; l’entreprise est hardie, mais l’aplomb et la subtilité ne désespèrent de rien : nous en allons voir tout à l’heure plus d’une preuve singulière. Ce qui n’est pas moins singulier, c’est qu’il y ait au sein du parlement national une propagande publique s’associant du haut de la tribune à la pratique secrète des embauchages de carrefour. L’assemblée n’a pas appuyé ces tendances trop significatives ; elle n’a pas voulu donner de crédit aux orateurs de la montagne qui se portaient les avocats officieux du soldat. Le soldat ne se soucie guère de gagner la cause qu’on défendait si généreusement pour lui.

L’assemblée n’a pas toujours d’inspirations aussi droites ; elle s’est attaquée aux incompatibilités avec le même esprit d’extermination qui l’animait lors de la seconde lecture du projet de loi. M. Bastiat porte volontiers les idées vraies jusqu’au paradoxe ; il a été cette fois jusqu’à l’extrémité la plus paradoxale d’une idée fausse. Par aversion pour le cumul des fonctions publiques et des devoirs parlementaires, il ne voulait pas même que les ministres fussent députés. M. Bastiat imagine que les ministres, débarrassés du souci des intrigues parlementaires, auront plus de temps pour les affaires pratiques ; il espère subordonner ainsi la politique des partis à la politique des intérêts ; c’est bien là d’un économiste ! Reste à savoir si les partis ne sont pas, après tout, la vie morale, la véritable vie d’un peuple, si les intérêts matériels auront jamais assez de grandeur pour suffire autant que les idées aux aspirations d’un pays libre. Il est juste de dire que M. Bastiat rendait aussi par là un nouvel hommage au principe républicain, tel que Montesquieu l’a déterminé ; il proclamait plus haut que personne la nécessité de la vertu, du renoncement frugal auquel la république doit obliger ses serviteurs. Cette vertu pourtant, chacun la prêche d’abord à l’encontre de son voisin, et, recommandée de la sorte, peu s’en faut qu’elle ne paraisse dériver de l’envie plus que du patriotisme. L’amendement de M. Bastiat avait failli surprendre l’assemblée dont il flattait les penchans. Après réflexion, il a été rejeté par un vote presque unanime ; mais ni les sous-secrétaires d’état, qui sont cependant des personnages politiques tout comme les ministres, ni les conseillers de la cour suprême, qui n’ont plus à monter dans leur carrière de fonctionnaire n’ont trouvé grace devant la sévérité de l’assemblée. L’assemblée, pousse ainsi la jalousie démocratique jusqu’à compromettre la démocratie. Nous allions oublier qu’elle avait pardonné sa préfecture