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tailler des statues qu’on n’en détache point entièrement, qui continuent à faire partie de la montagne, dont elles soutiennent le poids, ou aux flancs de laquelle elles sont adossées ; cet art, dont les produits gigantesques se confondent, pour ainsi dire, avec les œuvres de la nature, n’est point, comme on l’a dit dans l’ignorance ou l’on était de l’antiquité des monumens égyptiens avant de savoir lire leur date dans leurs hiéroglyphes ; cet art n’est point le premier âge de l’architecture s’essayant d’abord à imiter et à agrandir les grottes naturelles avant d’élever des monumens sur le sol à la face du ciel. En effet, les temples d’Ibsamboul ne sont pas le début de l’architecture égyptienne. Creusés sous la dix-neuvième dynastie, au temps de la plus grande splendeur de l’empire des Pharaons, ils sont contemporains des merveilles de Thèbes. Ils n’offrent point l’origine de l’art égyptien, mais sa perfection, et, chose remarquable, cette perfection est souterraine.

Quant à la sculpture colossale, c’est la gloire du peuple égyptien ; nul peuple peut-être ne l’a surpassé à cet égard. Nous ne pouvons apprécier que par ouï-dire ou d’après quelques débris ce que les Grecs avaient produit en ce genre, et qui ne forme qu’une exception dans l’art tel qu’ils le concevaient, plein de sobriété et de mesure. À la Grèce les œuvres régulières, les dimensions qui ne dépassent point la nature ; à l’Orient les œuvres gigantesques et l’immense donnant le sentiment de l’infini. Les géans de Ninive ont un autre caractère. Bien que le convenu s’y montre encore, la réalité y est plus accusée ; mais le style est moins idéal et moins grand.

Cette singulière apothéose, qui consiste à représenter les Pharaons adorant eux-mêmes leur propre effigie placée parmi les dieux, est encore plus frappante à Ibsamboul qu’à Derr, où je l’ai déjà rencontrée. Dans la seconde salle du grand temple d’Ibsamboul, à gauche de la porte, on voit, comme à Derr, Ramsès adoré par Ramsès. Ici le personnage humain, placé au rang des dieux pour y être l’objet de ses propres adorations a été introduit après coup parmi eux. On reconnaît encore parfaitement les jambes de l’ancienne figure assise qui a été déplacée par celle de Ramsès assis. Le dieu occupait primitivement la place que le Pharaon occupe maintenant. On a refoulé le dieu pour donner place à l’image de l’illustre conquérant, afin qu’il fût lui-même l’objet de son propre hommage. J’aime à penser que cette altération profane n’a pas eu lieu du vivant de Ramsès ; mais la consécration même de la mort et de la gloire n’empêche pas qu’il ne soit bien extraordinaire de voir intercalé dans la triade sacrée le roi même par qui elle est adorée.

Ce fait bizarre tient à un fait plus général, l’assimilation des Pharaons à la divinité. L’idée de l’identité du roi et du dieu s’exprimait encore autrement. Dans les inscriptions votives, des noms royaux sont