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fiertés de Molière, on ne voit pas dans tout notre XVIIe siècle un coin bleu au ciel, un air de verdure sur la terre. M. Sainte-Beuve en a trop bien donné les raisons dans son beau livre sur le Seizième Siècle. Mais puisque nous accostons enfin la littérature judicieuse, puisque nous entrons dans le cercle correct et raisonneur des wits, c’est le moment de nous poser les questions élégantes et graves soulevées, par Leigh Hunt : Qu’est-ce que l’imagination, et la fantaisie, et l’esprit, et l’humour ? Je sais bien que les définitions de ces choses impalpables comme des idées innées ont peu d’attrait et d’utilité : elles ne font pas plus toucher à l’imagination les qualités générales qu’elles expriment, que le nom latin d’une fleur rare n’en présente aux sens la couleur et l’odeur. Je ne sais si je suis d’accord avec Leigh Hunt ; mais, pour couper court, il me semble que l’imagination est cet effort et cette puissance qui, dans l’ame humaine, cherche parmi les aspects infinis du monde extérieur, — le monde de la nature et le monde de la civilisation, — comme en un miroir immense des formes, des analogies, des représentations, où elle se voit peinte, et avec lesquelles elle parle, si j’ose dire, ses sentimens et ses passions. Le monde extérieur étale devant l’ame un vaste vocabulaire d’images, de couleurs et de sons ; l’imagination, par un instinct et un attrait divins, plonge sur la forme qui répond à l’émotion de l’ame : du choc et de la fusion du sentiment et de l’image jaillit l’éclair poétique. Il y aurait, dans une leçon d’esthétique ex professo, bien des distinctions à faire sur les diverses applications de l’imagination ; nous n’avons à indiquer ici que la nuance par laquelle la fantaisie s’en détache. L’imagination est tout sentiment ; elle est sérieuse, elle donne dans son éclat le plus soudain et le plus large la flamme et la note poétique ; la fantaisie tisonne avec l’image, se joue aux étincelles, s’amuse et badine avec des représentations plus éloignées, plus subtiles du sentiment. Exemple : le sentiment à exprimer est celui-ci : faites un effort sur vous-même, et vous cesserez d’aimer. « Levez-vous, dit Shakspeare dans Troïlus et Cressida, le frêle Cupidon déliera votre cou de son amoureuse étreinte, et volera dans l’air comme la goutte de rosée que le lion secoue de sa crinière. » Ainsi traduit l’imagination. « Oh ! et moi, moi amoureux, dit encore Shakspeare dans Peine d’amour perdue, moi qui ai donné le fouet à l’amour, moi qui ai été le maître pédant de cet enfant pleurnicheur, errant et myope, de ce vieux bambin, de ce nain géant, Dan Cupido ! Moi, régent des vers d’amour, seigneur des bras entrelacés, souverain sacré de gémissemens et des soupirs ! etc. » Voilà, dans son plus extrême papillotage, comme parle la fantaisie.

Mais l’esprit, comment le définir ? Voltaire lui-même donne sa langue aux chiens. « Ce qu’on appelle esprit, disait-il, est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine : ici l’abus d’un mot qu’on présente dans un sens, et qu’on laisse entendre dans un autre ; là un