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un pâle rayon de la lune. Elle ferma la porte, aspirant les esprits de l’air et les visions ; elle ne prononça pas une parole ; mais son cœur parlait à son cœur, et perçait avec éloquence son sein embaumé, comme un rossignol sans voix ouvrirait en vain son gosier, et mourrait le cœur étouffé.

« Il y avait une fenêtre haute et à triple arceau, tout enguirlandée de fleurs et de fruits sculptés, diamantée de panneaux d’un charmant dessin, tachetés eux-mêmes de couleurs splendides, comme sont les ailes damassées du papillon-tigre, et au milieu, parmi des milliers d’emblèmes héraldiques, de saints crépusculaires et de blasons sombres, un écusson en bosse rougissait sur son champ de gueules du sang des lignées royales.

« La lune d’hiver éclatait en plein sur cette fenêtre et versait les chaudes couleurs des vitraux sur le beau sein de Madeleine, comme elle s’agenouillait pour implorer la grace du ciel. Une rose épanouie tombait sur ses mains jointes, et sur sa croix d’argent une douce améthyste, et sur ses cheveux un nimbe de sainte. Elle semblait un ange splendide vêtu, sauf les ailes, pour le ciel. — Porphyro se sentait évanouir : elle était genoux, elle, cet être si pur, si pur des souillures terrestres.

« Ses prières dites, elle ôta toutes les perles qui serpentaient dans ses cheveux, elle détacha l’un après l’autre ses joyaux enflammés ; elle dénoua son corset embaumé ; peu à peu, ses riches robes coulèrent sur ses genoux. À demi couverte, comme une sirène dans l’algue marine, pensive, elle rêvait éveillée, et voyait en imagination la belle sainte Agnès couchée dans son lit ; mais elle n’osait regarder derrière elle, où tout le charme se fût évanoui.

« Bientôt, tremblant dans son nid doux et froid, elle s’assoupit en une sorte de défaillance jusqu’à ce qu’un chaud sommeil couvrît ses membres, et que son ame fatiguée s’envolât comme une pensée pour revenir au matin, — abritée maintenant contre la souffrance et la joie, close comme un missel où prient les prêtres, repliée comme une rose épanouie qui pourrait fermer ses feuilles et redevenir un bouton.

« Debout dans ce paradis, et en extase, Porphyro regardait les robes vides et écoutait les soupirs de la jeune fille, si par hasard elle semblait s’éveiller à demi avec une somnolente tendresse. En l’entendant, il soupirait lui-même. Puis, il sortit de sa retraite sans bruit, comme la crainte se levant dans un désert immense ; il effleura le tapis, et entr’ouvrit les rideaux où elle s’était si tôt endormie.

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« Et maintenant, mon amour, mon beau séraphin, éveille-toi ! Tu es mon ciel et je suis ton solitaire. Ouvre les yeux pour l’amour de la tendre sainte Agnès, où je m’évanouis à ton côté, tant mon ame est souffrante. »

« Murmurant ainsi, il posa son bras brûlant, énervé, sur l’oreiller de Madeline. Elle rêvait, comme si d’épais rideaux lui eussent caché son rêve ; — c’était un charme nocturne impossible à fondre, comme un ruisseau glacé. Les coupes enlustrées brillaient cependant au clair de lune ; de larges franges d’argent couraient sur le tapis. Il lui sembla qu’il ne pourrait jamais vaincre le charme. Il cherchait en vain un moyen, perdu en une forêt de fantaisies.

« Se levant enfin, il prit tumultueusement le luth de Madeline, — et, sur les cordes les plus tendres, il joua une ancienne romance, depuis long-temps muette, qu’on appelle en Provence la Belle Dame sans merci. » Il murmurait à son oreille {{p fin de page}