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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/175

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semblée actuelle, ne saurait trop ménager sa propre responsabilité en s’en déchargeant, pour une juste part, sur ceux qu’il invite à l’aider. Nous n’ignorons pas que M. Louis Bonaparte pense avoir dans les souvenirs de son nom une autorité plus grande et par conséquent une plus grande liberté d’action que celle qui lui viendrait uniquement de sa charge. Nous avons nous-mêmes proclamé tout le prestige qu’avait eu la soudaine évocation de cette mémoire, dont l’abri protége notre jeune présidence ; nous avons remarqué, comme tout le monde, la vivacité avec laquelle l’imagination populaire s’était emparée de cette ombre magique du passé, dans le naïf espoir d’en refaire encore une réalité vivante. N’oublions pas cependant que deux fois déjà la France avait été mise à même de descendre au fond de son cœur pour y chercher les traces de son ancien culte, que deux fois elle avait eu l’occasion de s’exalter où de s’attendrir sur le compte du neveu de son empereur, que l’occasion était d’autant plus provoquante, qu’il y allait alors d’une assez mauvaise passe pour le nom de Bonaparte. Ces deux fois néanmoins, la France est restée muette, et n’a rien montré qu’une indifférence passablement ironique. D’où vient donc cet amour qu’elle avoué tout d’un coup au nom qui l’avait jusqu’alors si peu touchée ? C’est que ce nom, dont le sens avait pâli dans des temps de paix et de sécurité générale, a reparu dans un temps de désordre comme un symbole d’autorité. Ce n’est point l’héritier de César qu’on a hissé sur le pavois par un beau zèle pour sa personne où pour sa dynastie ; c’est l’idée d’un pouvoir énergique et régulier qu’on a lancée, sous sa forme la plus offensante, contre un pouvoir sans consistance et sans racines. Les républicains de la veille ont pris possession du pays en véritables conquérans ; le pays leur a montré le goût qu’il avait à la république : c’est comme cela que les réminiscences impériales ont fait leur chemin.

Pour peu que le nouveau président veuille se reporter à cette origine très authentique de son succès, il reconnaîtra tout-à-fait que ce succès n’a rien qui lui soit tellement personnel, qu’il puisse s’aventurer sans péril sur la seule foi de ses propres inspirations. Ils se persuadera facilement que la plus sage initiative qu’il ait prise, ç’a été de se confier dès l’abord aux hommes en qui la nation avait vu les plus sûrs gardiens d’une politique dont son nom, grace aux circonstances, était maintenant l’étiquette. Il s’efforcera donc plus que jamais de ne pas leur rendre sa confiance trop lourde à porter. Nous sommes heureux d’avoir à déclarer que M. Louis Bonaparte n’a pas hésité un moment sur le côté où il devait dresser sa tente. Il a bien choisi ; tout peut bien aller, pourvu que les élus n’aient point trop à souffrir de l’être. Les portefeuilles n’ont rien de si séduisant, par le temps qui court, qu’on ne soit bientôt à bout de patience, s’il en coûtait, pour les garder, de certains déboires que les présidens n’ont pas plus le droit que les princes d’infliger à leurs ministres. À bon entendeur salut ; nous nous comprenons bien.

Sorti de toutes les fractions de l’assemblée nationale, le cabinet du 20 décembre avait déjà ce mérite, qu’il prouvait surabondamment combien les anciennes dissidences politiques s’étaient amoindries devant les nécessités qui intéressent désormais la société tout entière. Le remaniement qui vient d’y introduire deux nouveaux membres ne lui a point ôté ce caractère. M. Odilon Barrot, chargé de le composer, a repris pour ainsi dire la situation telle qu’il l’avait laissée au matin du 24 février. Quel mauvais rêve nous avons fait dix