Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
REVUE DES DEUX MONDES.268

mation. — À vous voir, madame, reprit-il, je vous aurais crue, vous sachant étrangère, de Séville plutôt que de Varsovie. En disant ces mots, il laissa tomber sur le pied de son interlocutrice un regard qui faisait de son insignifiante réponse un compliment assez fade. Le petit pied, qui s’était posé sur le barreau d’une chaise, disparut sous la robe, et la jeune femme ne répondit rien à cette allusion, qui, pour être dans le goût espagnol, ne parut pas lui déplaire précisément. Le silence recommença, et l’on se livra de part et d’autre avec ardeur à l’examen des voitures. Nos personnages étaient embarrassés tous les trois. La dame blonde était confuse du compliment ; la dame brune, de la rapidité avec laquelle marchait la conversation ; quant à Ladislas, confondu, malgré son assurance, du rôle qu’il jouait vis-à-vis de ses deux compatriotes qu’il n’osait plus détromper, il ne savait que dire. Son esprit lui faisait défaut. Pas un mot à émettre ne se présentait à sa pensée, et, pour comble d’infortune, il songeait, tout en se taisant, que chaque minute de silence lui faisait perdre le terrain qu’il avait si habilement conquis. À l’instar de beaucoup de grands hommes, il résolut de sortir par un coup d’audace d’une position désespérée.

— Madame, dit-il à sa voisine, qui examinait toujours les voitures, ne me trouverez-vous pas trop hardi, si je vous fais part d’une idée qui m’occupe en ce moment ?

— Quelle est cette idée ?

— Je songe que, puisque vous êtes étrangère, vous devez peu connaître les habitans de Paris.

— Aussi peu qu’on puisse les connaître après un mois de séjour.

— Eh bien ! comme je les connais à merveille et depuis trop longtemps, je me mets à vos ordres, madame, et suis capable de vous donner sur les gens qui passent tous les renseignemens qu’il vous plaira de me demander.

Les deux femmes inclinèrent froidement la tête pour toute réponse, et Ladislas sentit que son assurance commençait à faire peur.

— Mon offre innocente, continua-t-il du ton le plus doux, paraît vous déplaire. Excusez-moi, madame. Je suis de ceux qui trouvent niaises certaines lois du monde. Ces lois seules vous engagent en ce moment à rejeter mes offres de service. Au fond, votre raison doit m’absoudre. En effet, vous êtes étrangère à Paris, où je suis moi-même étranger. J’ai par hasard le plaisir de vous rencontrer, et par hasard celui de vous parler. La conversation s’engage, n’est-ce pas chose toute simple ? Permettez-moi de vous poser une question : Si j’avais eu l’honneur de vous rencontrer dans un waggon ou sur le pont d’un bateau à vapeur, auriez-vous trouvé étrange que je vous adressasse la parole après une heure de voyage ? En quoi, s’il vous plaît, les Champs-Élysées diffèrent-ils, à cet égard, d’un waggon ou d’un pyroscaphe ?