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REVUE DES DEUX MONDES.274

De moment en moment, elle aspirait l’odeur d’un petit flacon de cristal ; un homme d’une cinquantaine d’années, ayant la tournure militaire, assis auprès d’elle, lui donnait ses soins, la considérait avec inquiétude et semblait s’informer à tout instant de son état. Ladislas jugea que ce personnage était un mari. Il n’en persista pas moins dans un projet qu’il venait de concevoir. Bien qu’une très petite distance le séparât du groupe qui l’intéressait, la disposition des tribunes ne lui permettait pas de s’en rapprocher davantage sans pénétrer dans la tente, après avoir été chercher, dans l’enceinte réservée aux chevaux, l’escalier qui y conduisait. C’est ce qu’il fit en toute hâte, après un léger salut adressé à la jeune Polonaise et qui semblait annoncer son intention. Quand, après le détour nécessaire, Ladislas eut pénétré dans la tribune, et qu’il eut commencé, non sans peine, à traverser la foule et à enjamber les banquettes, il s’aperçut qu’un mouvement extraordinaire se faisait autour des personnes qu’il cherchait. Il apprit bientôt qu’une dame s’était trouvée mal ; cette dame, c’était Mme  de Mortemer sans doute. S’emparant aussitôt d’une carafe d’eau que portait sur un plateau un garçon limonadier, Ladislas se fraya avec les coudes un passage ; il arriva auprès de Mme  de Mortemer évanouie, car c’était bien elle dont l’indisposition avait groupé la foule, et il remit au mari désolé la carafe dont il avait pu se saisir. Mme  de Mortemer, à demi renversée dans les bras de sa jeune amie, était d’une pâleur livide. On avait dénoué son chapeau, et l’on essayait en vain de la ranimer à l’aide de flacons que des mains charitables offraient de toutes parts. Quelques gouttes d’eau froide lancées sur le visage la réveillèrent plus promptement. Elle revint à elle, ouvrit les yeux et essaya de sourire, en voulant s’excuser auprès des personnes qui s’empressaient autour d’elle. Pendant ce temps, Ladislas adressait vivement la parole à la belle Polonaise, qui semblait fort embarrassée. — Votre amie, lui disait-il, ne peut rester un instant de plus ici ; la curiosité qui s’attache à elle est à elle seule déplaisante. Puisque j’ai l’honneur d’être un peu connu de vous, permettez-moi de vous offrir mes services, et, pour que M. de Mortemer puisse les accepter, veuillez me présenter à lui. Je me nomme, avait-il ajouté après quelque hésitation, le comte Ladislas. La jeune femme, effrayée de l’indisposition de son amie, surprise de la proposition de notre amoureux, ne sachant que faire, toucha le coude de M. de Mortemer et nomma d’une voix presque inintelligible, en montrant notre Polonais, le comte Ladislas. Les deux hommes se saluèrent. Reconnaissant le jeune homme empressé qui avait apporté l’eau bienfaisante, M. de Mortemer ajouta quelques remerciemens très polis à son salut. La malade, qui avait repris connaissance, salua notre ami de la tête et du sourire. M. de Mortemer, sous sa moustache grise, semblait être un de ces vieux officiers loyaux et bons vivans, braves et sans façon, tels qu’on en voit un grand