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accentuée peut-être, nous trouvons le livre d’un écrivain ultra-catholique, les Libres-Penseurs de M. Veuillot. M. Veuillot ne s’attaque ni aux ridicules de la démagogie, ni aux évolutions non moins comiques des consciences puritaines il livre un combat à outrance, un peu après coup, ce nous semble, aux représentans, littéraires ou autres, de l’esprit moderne. Il continue, à sa façon la campagne des fils des croisés contre les fils de Voltaire ; malheureusement les croisés, sous la plume de M. Veuillot, perdent de leurs allures chevaleresques et de leurs armes courtoises ; on les a laissés dans un tournoi, on les retrouve dans un cabaret. Voilà le trait qui me choque tout d’abord dans l’ouvrage de M. Veuillot, écrit du reste avec un incontestable talent. Je n’admets, je ne comprends que l’orthodoxie de bon ton. Je conçois très bien que l’impiété puisse être grossière : tous ceux qui attaquent la religion ne sont pas tenus d’avoir l’esprit de Candide, la finesse des Lettres persanes mais l’orthodoxie d’estaminet, la dévotion aux gros mots, le cantique chanté sur l’air du Ça ira, voilà ce qui me paraît monstrueux. Je ne répéterai pas les expressions dont se sert M. Veuillot pour qualifier ceux qu’il attaque ; il faut, pour se permettre ces licences, un degré ou plutôt un genre d’orthodoxie qui n’est pas le mien Il n’est pas impossible de démêler la cause de ce ton de crudité dévote qu’a pris l’auteur des Libres Penseurs. Il aura voulu sans doute rompre avec cette religiosité factice, avec ce christianisme mondain qu’une foule de chrétiens superficiels avaient adopté, dans ces derniers temps, comme un passeport et une mode. C’est pour éviter de leur ressembler, que M. Veuillot s’est efforcé d’être aussi impoli qu’il l’a pu. Il a prétendu faire ce qu’on appelle de la dévotion de bonne femme, et celui n’est pas, à coup sûr, de la dévotion de bonhomme ; car il est difficile d’avoir des intentions plus incisives, plus mordantes que M. Veuillot, et son livre exhale un parfum d’eau bénite au gros sel, que ne manque ni de montant, ni de haut goût. Nous lui reprocherons seulement d’avoir adopté un moyen de polémique que devrait toujours s’interdire un écrivain de quelque valeur. Discutez les faiblesses, les travers ou les ridicules de nos hommes de talent, soit ; mais qui espérez-vous convaincre quand vous dites que la poésie de lord Byron est un peu bête, que nos plus chétifs poètes de province écrivent des strophes aussi belles que celles des Méditations ou des Feuilles d’automne, et qu’il vous arrive chaque matin, de votre département, des fantaisies où des contes dignes d’être signés Musset ou Mérimée ? Eh bien ! nous serons plus juste que M. Veuillot ; nous avouerons que son livre renferme des pages, celles sur l’amour, par exemple, et celles sur la campagne, qu’un écrivain sans talent n’aurait pas pu écrire, et où brillent justement ces mérites de la poésie moderne que M. Veuillot regarde comme si faciles et si communs. Il y a six mois, un autre publiciste, de beaucoup de verve, lui aussi, et dont il convient de rappeler le nom en parlant de la littérature pamphlétaire, avait soutenu la même thèse que l’auteur des Libres Penseurs. Il avait affirmé que les chiffonniers de Paris où les bateliers du Rhône n’auraient qu’à vouloir pour écrire des odes comparables à celles de MM. Hugo et Lamartine, où même (ô juste retour des choses et des républiques d’ici-bas !) d’aussi belles histoires que celle des Girondins. Cet écrivain s’appelait Proudhon, le même qui, dans un autre accès de sophisme, avait dit : « Dieu, c’est le mal ! » Ainsi se sont rencontrés, sur le même terrain et dans le même paradoxe, deux hommes partis des deux points les plus extrêmes, l’athée et le