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vulgaris). C’est là qu’on le rencontre à l’époque du frai, recherchant les bas-fonds en troupes innombrables. Il est plus rare dans l’Océan, bien que le Muséum possède des individus pêchés jusque dans la Baltique. De tout temps, l’anchois fut pour les nations de la Méditerranée ce que la sardine est pour les populations des côtes de l’Océan. Nous avons vu qu’il était connu des Grecs et des Romains, qui déjà le préparaient, selon toute apparence, exactement comme nous le faisons nous-mêmes. De plus, il était alors un des poissons les plus employés à la confection du garum, étrange assaisonnement dont le nom seul soulève chez nous le dégoût, et dont l’emploi semble s’être conservé chez quelques peuples de l’Orient[1]. L’usage de l’anchois en saumure paraît avoir été long-temps circonscrit autour de la Méditerranée ; du moins, d’après Legrand-d’Aussy, cette espèce de salaison ne figure pas encore, au XIIIe siècle, parmi les articles de commerce. Toutefois, dès 1551, la pêche des anchois enrichissait déjà la Provence et le Languedoc, malgré la concurrence des pêcheurs catalans. Aujourd’hui, ils se prennent dans toutes nos mers, depuis la Manche jusque dans la mer Noire. Ceux de l’Océan sont plus gros, mais bien moins délicats que ceux de la Méditerranée, qui possède des pêcheries considérables sur les côtes de Dalmatie, de Sicile, d’Espagne, et surtout sur les côtes de France. Les anchois de Provence ont une supériorité incontestable bien connue des gourmets. Pris dans le voisinage d’Antibes, de Fréjus, de Saint-Tropez, ces poissons, dépouillés de leur tête et embarillés dans la saumure conservatrice, sont chaque année transportés par cargaisons énormes à la foire de Beaucaire, d’où ils se répandent dans le monde entier.

À côté des clupéoïdes que nous venons de nommer, il en est d’autres dont la pêche, sans avoir la même importance générale, est déjà ou pourrait devenir plus tard la source d’industries florissantes. Parmi les premiers, nous citerons la mélette de la Méditerranée (meletta mediterranea) qui, dans le midi de la France, se pêche en même temps que

  1. Le garum était une espèce, de sauce, ou mieux, d’assaisonnement tellement estimé des Romains de la décadence, qu’ils le payaient parfois au poids de l’or. Martial fait dire à une parvenue :
    Nobile nunc sitio luxuriosa garum.
    Cependant, à en juger par une autre de ses épigrammes, Martial ne partageait pas le goût de ses contemporains :
    Unguentum fuerat, quod onyx modo parva gerebat :
    Nunc, postquam olfecit Papilus, ecce garum est.
    La répugnance du poète se comprend aisément. Le garum n’était autre chose que le liquide échappé de diverses substances animales en putréfaction (sanies putrescentium) après avoir été saupoudrées de sel et mêlées à des feuilles de thym, de laurier, etc. Le plus estimé se fabriquait avec la tête, les ouïes et les intestins du maquereau. L’anchois, le picarel et d’autres poissons étaient employés au même usage. On fabriquait d’ailleurs le garum avec bien d’autres substances, et nous ne savons plus quel auteur ancien vante la saveur de celui qu’on retirait des sauterelles.