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victorieuse ? C’était l’anarchie ; et d’où venait-elle ? Du morcellement infini de la société, de l’isolement et de la désunion de tous les élémens qui la composaient. C’est ce qu’aperçut avec l’œil du génie l’urne extraordinaire que la Providence avait choisi pour clore la première période de la révolution, la période de nivellement. « Je ne vois plus dans la nation, disait-il, que des grains de sable. Il faut jeter dans le sol des blocs de granit sur lesquels nous élèverons notre nouveau système. » Ces blocs de granit, ces digues puissantes contre le morcellement social et les envahissemens de l’anarchie, ce furent le concordat, le code civil, l’université, le conseil d’état, toutes les grandes créations du gouvernement consulaire, filles d’une même pensée d’affermissement et de réorganisation. Plus tard, avec l’empire, vinrent les nécessités de la guerre, les entraînemens de la victoire, le goût des conquêtes, et ces plans de domination universelle où s’épuisa un génie que trop de gloire avait enivré, conceptions gigantesques et fragiles qui faillirent entraîner dans leur chute, avec le soldat couronné de la révolution, la révolution elle-même.

L’avènement de la restauration fut, en dépit des secrets instincts et des résistances déclarées du parti dominant, le signal d’un immense développement de liberté. Muettes depuis dix ans, la tribune et la presse reprirent une voix, et, stimulant l’esprit public, donnant le branle à la discussion, aux controverses politiques, philosophiques, religieuses, littéraires, elles imprimèrent un élan inoui à la lutte des systèmes, à la lutte des systèmes, à l’échange et à la circulation des idées ; mais ce fut surtout dans la carrière de l’activité commerciale et manufacturière que l’esprit nouveau se déploya avec une énergie merveilleuse. Secondée par la paix générale, débarrassée des entraves sous lesquelles le joug de fer de la politique impériale l’avait comprimée, l’industrie française apprit enfin à se servir de ces moteurs nouveaux, de ces machines admirables, de tant de puissans leviers que la science mettait sous sa main ; et, rivale heureuse de ses aînées, l’Angleterre et l’Amérique, elle osa désormais leur disputer le marché du monde.

On vit alors ce que la liberté est capable de faire pour la fécondité de la production, pour l’accroissement des capitaux, pour le développement du crédit public et privé, pour la facilité des transactions, en un mot, pour la prospérité matérielle des peuples ; mais alors aussi commencèrent à paraître et à se développer avec une rapidité effrayante ces germes d’anarchie et de misère que la liberté sans règle porte avec soi, et qui déjà, en Angleterre comme aux États-Unis, avaient frappé l’attention des observateurs et exercé la sagesse des hommes d’état.

Je ne viens point me faire ici l’écho des déclamations déjà surannées dont le bruit monotone a fatigué l’oreille des honnêtes gens ; je