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même d’envisager, sous tous ses aspects et dans toutes ses conséquences, le système des cultures. Nous avons surtout recueilli d’utiles renseignemens à cet égard dans nos relations avec deux nobles javanais l’un, sultan de Sumanap, dans l’île de Madura, homme éminent par ses qualités personnelles et par sa profonde instruction dans tout ce qui touche aux mœurs, aux coutumes, aux langues, à l’agriculture et à l’industrie des indigènes ; l’autre, ancien régent, administrateur habile et éclairé, distingué par son instruction, par ses vues libérales par l’élévation de son esprit. L’un et l’autre avaient réussi à s’affranchir de bonne heure de l’influence des préjugés qui paralysent l’intelligence de l’immense majorité de leurs compatriotes. Ils étaient tous deux sincèrement attachés au gouvernement hollandais et reconnaissaient les tendances humaines et paternelles de ce gouvernement. Tous deux approuvaient hautement l’esprit du nouveau système des cultures et admettaient sans hésiter les sages principes qui lui servent de base ; mais ils pensaient que l’application de ces principes avait compromis, dans plusieurs localités, les vrais intérêts de l’état et le bien-être des cultivateurs, parce que les fonctionnaires européens chargés d’assurer l’exécution des ordres du gouvernement n’avaient, pour la plupart, qu’une connaissance superficielle des mœurs des indigènes, de l’organisation commune et des ressources agricoles du pays. Ils appuyaient leur opinion d’un grand nombre de faits que l’expérience leur avait révélés, et dont leurs connaissances spéciales leur permettaient d’apprécier la portée. Ce que nous avons vu de nos propres yeux à Java a pleinement confirmé l’exactitude des conclusions auxquelles étaient arrivés nos deux nobles amis javanais.

En voyageant dans les plus riches provinces de cette île immense, nous avions été frappé du mouvement continuel de la population. À l’époque de la récolte du pady (riz arrivé à sa maturité), nous avions remarqué que, malgré la foule immense qui couvrait les routes et se pressait dans les bazars, une grande partie de la population, les femmes et les enfans surtout, était occupée aux travaux de la moisson. Un jour, nous voulûmes examiner de plus près comment procédaient ces moissonneurs, et nous pûmes nous assurer qu’ils coupaient les gerbes, ou panicules de pady, avec un instrument grossier de forme toute particulière, qui se nomme en javanais anî-anî. C’est un tranchet de très petite dimension engagé par le dos dans un morceau de bois mince et plat, évidé de manière à s’adapter à la forme de la main ; cette main qui l’embrasse a pour points d’appui, d’un côté, une espèce d’axe vertical, mais latéral, en bambou, uni au tranchet par une entaille dans laquelle entre le morceau de bois ou planchette dont nous avons parlé ; de l’autre, la tige de riz à couper. Il était évident qu’avec une faucille passable, un seul moissonneur eût pu faire aisément, dans un champ