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aux fortunes privées, en plaçant sous le séquestre les chemins de fer d’Orléans et du Centre, en taxant d’une contribution directe les créances hypothécaires, en projetant l’accaparement de toutes les grandes entreprises industrielles, pour les exploiter au nom de l’état ; il avait jeté le désordre dans l’industrie par son décret fixant à dix heures la durée du travail, ne tenant nul compte des conventions librement consenties entre le maître et l’ouvrier ; il avait brisé l’épée de nos généraux les plus renommés ; enfin, il avait mutilé nos corps judiciaires, outragé le sanctuaire de la justice, en suspendant de leurs fonctions des présidens de cours d’appel, des conseillers de la cour de cassation et de la cour des comptes. C’est contre tous ces excès que la grande majorité des électeurs armaient de leur mandat réactionnaire les candidats qui se présentaient à leurs suffrages.

Le programme des opinions démocratiques était fort simple. Il contenait les déclamations habituelles des clubs sur la devise liberté, égalité, fraternité, et M. Ledru-Rollin, dans une de ses circulaires, le formulait en ces termes : « Abolition de tous priviléges, répartition de l’impôt en raison de la fortune, droit proportionnel et progressif sur les successions, magistrature librement élue, développement complet du jury en matière judiciaire, éducation gratuite et égale pour tous, l’instrument du travail (le capital) assuré à tous, reconstitution, démocratique du crédit, association volontaire partout substituée aux impulsions désordonnées de l’égoïsme[1]. »

À prendre la pensée qui dominait la lutte électorale, il s’agissait donc, pour les uns, de revenir au point de départ du 24 février et de rechercher à nouveau les moyens de reconstruire un gouvernement ; pour les autres, d’approuver tout ce qui s’était fait depuis cette époque, et de livrer la révolution à tout son essor.

Les élections donnèrent une grande majorité aux candidats qui s’étaient rangés sous le drapeau des républicains du lendemain. M. de Lamartine fut proclamé dans dix départemens, et c’est à grand’peine que M. Ledru-Rollin obtint une élection en dehors de celle que lui réservaient dans Paris les soldats des barricades et l’armée révolutionnaire des ateliers nationaux. La France prit confiance et se crut sauvée. Elle applaudit bruyamment à sa victoire, car elle triomphait d’une faction qui s’était mise en guerre ouverte contre ses plus chers intérêts. Un rayon d’espérance perça l’atmosphère de tristesse et de deuil qui couvrait le pays.

  1. Circulaire du 7 avril.