des considérations purement littéraires, et rattacher à des tendances générales celles qui se trahissent dans ce récit, on reconnaît que la maladie de notre époque s’y révèle à chaque page, et que de semblables ouvrages pourront un jour servir de pièces justificatives à l’histoire de nos faiblesses et de nos misères. Si l’on se renferme dans le rôle de critique, si l’on se borne à fixer la place que ce livre doit occuper dans notre littérature, on est forcé de chercher dans un autre art ses points de comparaison, et de s’avouer que Raphaël est aux immortels poèmes auxquels il prétend donner un frère ce qu’une improvisation de Liszt est à une sonate de Weber, à une symphonie de Beethoven.
Il n’est pas rare d’entendre dire que la comédie moderne manque de types ; ceux qui proclament cette disette flattent un peu notre siècle. Il nous semble, par exemple, que cette manie de tout rattacher à soi, de se faire le centre autour duquel gravite la société contemporaine, abonde en aspects comiques, et que cette nouvelle face de la vanité humaine pourrait offrir au théâtre des combinaisons piquantes. Nous n’en sommes pas là pour aujourd’hui, et ceux qui iraient chercher à la Comédie-Française le reflet de nos mœurs politiques, où l’esquisse plus ou moins fidèle d’une de nos maladies morales, risqueraient de revenir fort désappointés. La petite pièce qu’on nous a jouée l’autre semaine mérite à peine une mention ; c’est toujours l’imitation appauvrie des proverbes d’un charmant poète, versifiée cette fois par une muse un peu surannée qui ne réussit point à se refaire jeune. Des œuvres aussi chétives n’ont rien à démêler avec la critique, et le public s’en détourne pour chercher ailleurs des distractions aimables, l’oubli des alarmes sans cesse renaissantes. L’Opéra nous a donné, sous le titre du Violon du Diable, un ballet nouveau qui réunissait plusieurs élémens de curiosité. Il ne faudrait pas s’imaginer, d’après ce titre fantastique, que l’auteur ait fait revivre sur notre théâtre quelqu’une de ces belles histoires d’Hoffmann où la réalité et la fantaisie se mêlent, où les puissances infernales, évoquées par l’archet du musicien comme par une baguette magique, nous promènent avec lui dans le monde bizarre des apparitions et des fantômes. Nous avouons ne pas avoir été fort ému par le côté fantastique du nouveau ballet de l’Opéra ; le côté raisonnable en est moins saisissable encore. Boileau a dit qu’il faut, même en chansons, du bon sens et de l’art. Heureusement pour le succès du Violon du Diable, un ballet n’est pas même une chanson, et l’on pourrait ajouter, en renchérissant sur le mot de Beaumarchais, que ce qu’on n’ose pas chanter, on le danse. Convenons du moins qu’on ne saurait le danser avec plus de grace, de talent et de bonheur que Mme Fanny Cerrito. Elle n’a perdu aucune des qualités attrayantes et sympathiques qu’elle avait déployées déjà dans la Fille de Marbre et dans la Vivandière. Moins correcte peut-être et moins poétique que Carlotta Grisi, Mme Cerrito rachète cette imperfection relative par un entraînement, une verve pleine de séduction et de jeunesse. M. Saint Léon la seconde à merveille, et fait applaudir, dans ce ballet dont il est l’auteur, son triple talent de chorégraphe, de violoniste et de danseur ; aussi, le succès est-il très grand, et cette nouvelle ère de prospérité, inaugurée par le Violon du Diable, ne pourra que se continuer d’une façon plus décisive encore lors de la prochaine apparition du Prophète.
La réouverture du Théâtre-Italien a été un nouveau triomphe pour Mlle Alboni. Les révolutions n’ont eu, Dieu merci ! aucune prise sur cette voix dont rien n’égale