Avec sa grandeur d’ame et son sens élevé, Louis XIV le dédommageait en le rapprochant de sa personne, de même qu’il faisait souper Molière avec lui, lorsque ses courtisans ne voulaient pas l’admettre à leur table. Son attention avait été pour la première fois fixée sur Jean Bart par Vauban, qui, en étudiant les nouvelles forces que Dunkerque apportait en dot à la France, reconnut la portée du jeune marin, prédit son avenir, et, de retour à Versailles, le fit nommer lieutenant de vaisseaux. Jamais mémoire n’a été plus pieusement conservée que l’est celle de Jean Bart parmi ses compatriotes, et aucun matelot de Dunkerque ne l’a jamais oubliée en présence de l’ennemi.
Les Français du temps de César étaient divisés entre eux à tous les degrés de la société[1], sujets à sacrifier les plus grands intérêts de la patrie à de mesquines rancunes personnelles, et tout le Commentaire de la guerre des Gaules est un enseignement de l’art d’exploiter leurs rivalités, de s’emparer de leurs ressentimens, de les vaincre, en un mot, les uns par les autres. Ce côté misérable du caractère national n’a jamais tant profité aux ennemis de notre pays que dans les troubles de la Fronde. Ces troubles commençaient en 1648, et le dénûment dans lequel restaient les places de Flandre livrait successivement aux Espagnols Furnes, Ypres, Mardyck, Bergues, Gravelines. Dunkerque enfin, trahi par un allié qui interceptait les secours que nous y faisions passer par mer, tombait entre leurs mains le 16 septembre 1652. Cet allié fut puni par le succès même de sa déloyauté, et, pendant les cinq années qui suivirent, les corsaires de Dunkerque, redevenus vassaux de l’Espagne, désolèrent le commerce anglais par le nombre et la richesse de leurs prises. Le malheur des temps nous fit conclure, à la fin de 1656, un traité par lequel Cromwell s’obligeait à nous fournir un contingent pour la guerre de Flandre, à la condition que Dunkerque serait assiégé et remis à l’Angleterre. Le maréchal de Turenne prit l’année suivante le commandement de l’armée ; mais il avait en face de lui le prince de Condé, jeté dans les rangs espagnols par la guerre civile, et l’année 1 658 devait être témoin de la plus mémorable lutte à laquelle se soient jamais livrés des hommes nés pour être unis[2].
Au commencement de mai, Turenne occupait Bourbourg, Watten, Cassel, et une escadre anglaise mouillait en rade de Dunkerque, sous le fort de Mardyck, que nous avions pris sept mois auparavant. Les
- ↑ In Galliâ, non solum in omnibus civitatibus, atque in omnibus pagis partibusque, sed pene etiam in singulis domibus factiones sunt… Haec cadem ratio est in summâ totius Galliae ; namque omner civitates in partes divisae sunt duas. (De Bello Gallico, l VI, c. II.)
- ↑ Mémoires du vicomte de Turenne. — Mémoires du duc d’York. – Histoire du vicomte de Turenne, par le chevalier de Ramsay. — Histoire de Dunkerque, par P. Fauconnier.