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par M. Stirling et M. Barnes, il écrivit des articles de critique pour le Times, — et pour le Frazer’s Magazine, une narration satirique dirigée contre les romans de philanthropie véhémente, alors à la mode en Angleterre, importés depuis chez nous, romans peuplés de galériens tout aimables et de bourreaux métaphysiques. Le public, blessé de voir ses goûts attaqués vivement, n’accueillit point Catherine. Une grande calamité domestique vint alors atteindre M. Thackeray, dont la femme devint folle pendant un voyage qu’il faisait en Irlande. Ses plus mauvais jours reparurent ; quelques amis vinrent à son secours, et, dans cette circonstance pénible, l’éditeur Frazer, avec qui il était brouillé lui ouvrit généreusement sa bourse. — Un conte délicieux, le Grand Diamant Hoggarty, un livre d’Esquisses irlandaises, les Snobs et plusieurs autres séries très piquantes insérées dans le Polichinelle (Punch) accrurent sa réputation. En 1845, de retour d’un voyage en Orient et en Italie, il opposa aux emphatiques et pittoresques descriptions de ses confrères les voyageurs un petit volume d’esquisses comiques, Voyage de la rue Cornhill au Grand-Caire. Cette parodie des prétentions touristes plut assez ; mais le ton en était leste, et le public est mécontent quand on le dérange dans ses admirations. D’autres livres, pleins de redites et de régularité, parfaitement ennuyeux, conformes de tout point au jargon politique et religieux qui était en faveur, l’emportèrent auprès des gens graves. M. Thackeray ne s’était pas donné pour un grand philosophe, mais pour un bon enfant sans façon, et on le prenait pour tel ; rien de plus. Le Bal de Mme Perkins, charmante esquisse, et La Rue que j’habite (Our Street), n’avaient pas dû donner de lui une idée beaucoup plus solennelle. L’un et l’autre de ces petits ouvrages sont accompagnés d’esquisses au trait et au burin gravées par l’auteur lui-même, et qui sont excellentes dans leur genre. Ce ne fut qu’aux derniers numéros de Vanity Fair, qui se publiait par livraisons, que l’on s’aperçut qu’un nouveau romancier venait d’éclore, non-seulement un satirique et un philosophe, mais pour certains vices de race anglaise un formidable assaillant.

Vanity Fair est une attaque des plus vives et, il faut le dire, des plus dangereuses contre la société anglaise. À ce point de vue, nous ne savons trop si M. Thackeray a raison ; ceux qui ont vécu dans les sociétés détruites apprécient beaucoup les peuples qui se maintiennent, même avec de grands défauts. Oui, monsieur Thackeray, ces masques vous révoltent ; l’hypocrisie circule dans votre grand bal, dans votre foire aux vanités de la Grande-Bretagne, sous des costumes brillans ; les ressorts de la vie anglaise sont souvent misérables et ridicules ; mais la société qu’ils font mouvoir a un avantage important : — elle vit.

Au moment où la société de Louis XIV s’écroulait, où celle de Louis XV naissait pour se détruire elle-même et s’engloutir, Gil Blas