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confiées à ses soins ne l’intéressait pas. Elle avait vécu deux ans avec elles, et pas une ne l’a regrettée. La tendre et aimable Amélie Sedley était la seule personne à qui elle se fût attachée ; — qui n’eût pas aimé cette douce enfant ?

Le bonheur, les avantages particuliers des jeunes personnes qui se trouvaient près d’elle, causaient à Rébecca des mouvemens d’envie inexprimables. Résolue à s’affranchir, à quelque prix que ce fût, de la prison où elle était enfermée, elle profita des moyens d’instruction que lui offrait la maison. Elle était déjà bonne musicienne et possédait la langue française ; elle apprit vite ce qui lui manquait. Elle s’occupait sans cesse de sa musique, et, un jour que les élèves étaient sorties, elle joua un morceau avec une si admirable perfection, que la maîtresse, voulant faire l’économie d’un maître, pour les commençantes signifia à miss Sharp d’avoir à leur donner les leçons de musique. Rébecca refusa pour la première fois, au grand étonnement de la majestueuse maîtresse de pension. — « Je suis ici pour enseigner le français aux élèves, dit-elle, et non pour leur apprendre la musique. Payez-moi, je leur donnerai des leçons. » Minerve fut obligée de céder, et de ce jour prit Rébecca en haine.

— Pendant trente-cinq ans, s’écria-t-elle, personne ici n’a osé résister à mon autorité. J’ai réchauffé une vipère dans mon sein.

— Une vipère ! c’est ridicule ! répondit miss Sharp à la vieille dame, prête à s’évanouir d’étonnement. Vous m’avez prise parce que je vous étais utile ; il ne saurait être question de reconnaissance entre nous. Je hais cette maison, et je veux la quitter. Je ne ferai ici que ce que je suis obligée de faire.

Ce fut en vain que la vieille dame lui demanda si elle savait bien qu’elle parlait à miss Pinkerton ; Rébecca lui rit au nez, d’un rire sec et diabolique qui manqua de faire tomber Minerve en convulsions. « Donnez-moi une somme d’argent, dit la jeune fille, et débarrassez-vous de moi, ou, si vous l’aimez mieux, procurez-moi une bonne place de gouvernante dans une famille noble ; vous le pouvez si vous voulez. » Dans toutes ses querelles, elle en revenait toujours à ce point : « Faites-moi une position ; nous nous détestons l’une l’autre, et je suis prête à partir. »

La digne miss Pinkerton, bien qu’elle eût un beau turban et un nez romain, qu’elle fût aussi robuste qu’un grenadier, et que jusqu’alors son autorité eût été irrésistible, n’avait ni l’énergie ni la volonté de sa frêle subordonnée ; ce fut en vain qu’elle engagea le combat et qu’elle essaya de la dompter. Rébecca répondait en français, langue que miss Pinkerton ignorait, aux réprimandes de la vieille dame. Il devint nécessaire, pour maintenir son autorité dans sa maison, d’en éloigner cette rebelle, ce monstre, ce serpent, ce brandon, et, apprenant