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qui l’emploient comme aliment, et celle du Kamtchatskoï-Ostrog inférieur se donne et s’accepte en cadeau comme une friandise. On voit que nos villes maritimes pourraient utiliser par la fabrication de cette huile les guignes de harengs et les poissons de rebut, jusqu’à présent sans usage. Elles pourraient aussi, dans le cas où les harengs seraient très abondans, imiter les Suédois, et sacrifier l’animal entier à cet usage. Toutefois il nous paraît peu probable que de long-temps elles en viennent là ; mais il est une autre manière d’atteindre le même but, c’est d’installer des brûleries à bord des grands bâtimens de pêche, et d’aller chercher des chargemens d’huile dans les parages mêmes où les harengs sont à la fois les plus gros et les plus gras, comme, par exemple, aux îles Feroë[1]. Cette idée, qui appartient à Noël de La Morinière, nous paraît d’autant plus juste, la réalisation donnerait des bénéfices d’autant plus certains, que, grace aux progrès récens des sciences appliquées, l’industrie marine dont nous parlons toucherait ici aux intérêts de l’agriculture, et trouverait un élément de prospérité dans ce qui fut une cause de ruine pour les brûleries suédoises.

En effet, Noël de La Morinière nous apprend que le trangrum était regardé en Suède comme le meilleur des engrais. Si les brûleurs se virent forcés de l’enfouir en pure perte, c’est que le pays ne pouvait suffire à en consommer les masses énormes qui sortaient annuellement de leurs chaudières[2]. M. Valenciennes, en rapportant ces faits, n’a pas hésité à regarder ce résidu comme pouvant offrir une précieuse ressource à l’agriculture, et nous adoptons en tout point cette opinion. Le trangrum doit être au moins l’égal de ce fameux guano que des flottes entières sont allées chercher à grands frais jusque sur les rivages d’Amérique, et dont les couches amoncelées par l’action si lente des siècles s’épuisent rapidement. Composé presque uniquement de substance azotées et renfermant en outre du phosphore à divers états de combinaison, le trangrum présente tous les élémens nécessaires à l’alimentation des végétaux, et surtout des céréales ; mais, pour que son emploi se généralise, il faut pouvoir le transporter, et quelques précautions deviennent ici nécessaires, car la putréfaction s’emparerait bien vite de cette bouillie animale abandonnée à elle-même. Parmi les procédés propres à en faire un objet de commerce, la dessiccation nous semble devoir être préférée. Il suffirait, pour cela, de soumettre la

  1. Ces harengs gras, bien connus des pêcheurs, sont rejetés par eux comme étant un aliment désagréable ou malsain. Un arrêté des états de Hollande et de West-Frise, en date de 1720, défend, même sous peine d’une forte amende, d’en introduire dans les salaisons.
  2. On ne peut guère évaluer à moins de 30 millions de kilogrammes le poids du trangrum enterré tous les ans à cette époque par la Suède. Ainsi 300 navires du port de 100 tonneaux auraient pu compléter leur chargement avec le produit de ces brûleries.