vont à Rébecca. L’insignifiante Amélie disparaît à côté d’elle. Amélie souffre, non pas de l’idée qu’elle et son mari n’ont plus de fortune, pour certains êtres d’élite, partager la pauvreté de celui qu’on aime c’est encore se rapprocher de lui. Bien peu d’hommes s’arrangeraient de cette jouissance sentimentale ; mais, il faut le dire à l’honneur des femmes, celles qui ont gardé dans la civilisation leur ame féminine ne reculent pas devant la misère partagée. Ce qui brisa le cœur d’Amélie, ce fut, hélas ! quand l’amour même lui apparut comme une vanité quand l’idéal s’évanouit devant le réel ; quand, une ou deux semaines après le mariage, l’idole disparut, et que les yeux verts de la sirène Rébecca éclairèrent la triste réalité. Amélie n’avait plus son héros. Au lieu du tendre, de l’héroïque et dévoué George, que lui restait-il- ? Un dandy amoureux de lui-même, une vanité toujours éveillée, une intelligence de troisième ordre, son mari ! Voilà ce que lui révélait son esprit ; son cœur s’obstinait à n’y pas croire.
Aucun de ces personnages ne pouvait manquer de se trouver à ce grand bal que Byron a célébré en vers magnifiques, et dont les danses furent interrompues par le combat. — Amélie y fut peu remarquée, ainsi que notre cher Dobbin. L’entrée de Rébecca fit sensation. Tous les lorgnons se tournèrent vers elle ; son air distingué, ses belles épaules, sa démarche légère et digne, le sang-froid parfait de son regard et la modeste assurance de sa tenue achevèrent en quelques minutes la conquête universelle. Qui est-elle ? se demandait-on. Elle parle français admirablement. — C’est une Montmorency par sa mère Un mariage d’amour ; son mari est le second fils d’un membre du parlement. Elle est charmante ! — Les danseurs l’entouraient, et tout le monde briguait l’honneur d’une contredanse avec elle ; elle répondit qu’elle était engagée, et glissa légèrement jusqu’au coin de la salle, où se trouvait Amélie négligée, triste, et à qui personne ne faisait attention. Rébecca la combla de caresses et se mit à la protéger comme une enfant ; c’était l’achever. — Je ne vous trouve pas bien habillée, ma chère. Qui vous a donc coiffée comme cela ? Vous êtes mal chaussée. Je vous enverrai ma faiseuse de corsets. — Amélie ne répondait rien, pendant que Rébecca continuait à pérorer dans le plus pur jargon de l’époque, et en vraie femme du monde qu’elle était déjà. — George vient de notre côté, dit-elle ; empêchez-le donc de jouer. Lui et mon mari ne font que cela. George n’est pas riche, et mon mari est plus fort que lui à l’écarté. À propos, que faites-vous le soir, chez vous, seule avec ce capitaine Dobbin qui a de si vilaines mains ? Pourquoi ne sortez-vous pas ? Les mains de votre mari sont admirables. Ah ! le voilà !… D’où venez vous, mauvais sujet ? Amélie vous croyait perdu… — elle lui donna la main pour aller danser. Il n’y a que les femmes pour infliger de telles blessures ; seules elles connaissent le poison dans lequel