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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/581

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des inspirations dans le puéril teutonisme de 1813 ; même en ses heures de colère, je m’assure qu’il jugerait avec plus de netteté les prétentions intolérables qui préparent de si graves échecs à la politique de Francfort.

Loeb Baruch, qui devait illustrer le pseudonyme de Louis Boerne, naquit à Francfort-sur-le-Mein, le 22 mai 1786, de parens israélites. Il semblait destiné par sa naissance à une carrière bien différente de celle qu’il a suivie ; c’est au milieu des affaires et des négociations diplomatiques que fut jeté par l’ironie du sort l’humoriste le plus indépendant et le plus libéral esprit de la nouvelle Allemagne. Son grand-père, agent financier de l’ancienne cour de l’électeur de Cologne, fut souvent chargé de missions importantes qu’il remplit toujours avec succès. On rapporte que, le siège de l’électorat de Cologne étant devenu vacant, M. Baruch s’entremit avec beaucoup de zèle en faveur d’un archiduc de la maison d’Autriche, fils de l’impératrice Marie-Thérèse, et lui fit obtenir la majorité des voix. Reconnaissante d’un tel service, Marie-Thérèse promit à l’habile diplomate que ses enfans auraient toujours des protecteurs à Vienne. On sait que Louis Boerne ne profita guère des succès de son aïeul, et il est assez piquant de songer à la mauvaise humeur de sa famille, quand le futur chef du journalisme révolutionnaire refusait de frapper à la porte des chancelleries. Un autre contraste, c’est le rigorisme de son père, homme rude, taciturne, et sévèrement attaché aux doctrines étroites de l’orthodoxie juive. L’éducation de Louis Boerne eût pu souffrir de cette sévérité, si le hasard n’eût amené près de lui un jeune israélite de Berlin, ardemment dévoué à cette réforme du judaïsme que prêchaient les éloquens écrits de Mendelsohn. M. Jacob Sachs, qui fut le premier précepteur du jeune Baruch, accoutuma son esprit aux libérales idées du sage et illustre ami de Lessing. Ne négligeons pas ce rapprochement ; c’est ainsi que ce jeune homme, sorti de la synagogue, s’éleva sans peine à cette haute et impartiale raison qui ne se dément presque jamais sous les caprices de sa fantaisie ou les emportemens de sa colère. Les écrivains juifs de l’Allemagne moderne ont tous un caractère reconnaissable ; Louis Boerne n’appartient pas à leur phalange. Nul n’aurait mieux le droit de s’approprier la belle parole de Térence : Homo sum. S’il rappelle quelquefois son origine, c’est par la haine profonde de l’oppression ; mais ce n’est pas lui qui réclamerait la liberté dans un intérêt de race : il croirait rapetisser un grand dogme et renier cette large croyance philosophique dont les inspirations lui sont si chères. Encore une fois il appartient, dès sa première adolescence, à cette noble tradition humaine dont Mendelsohn et Lessing ont été les sérieux interprètes. Plus tard, quand il commencera à écrire, quand les instincts affectueux de son ame, réprimés par la rigueur de la vie domestique voudront se faire