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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/613

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avec la haine de la France. Quoi qu’il arrive enfin, les paroles de Louis Boerne ne seront pas perdues, ses conseils seront entendus tôt ou tard des intelligences les plus rebelles, et les mangeurs de Français, voués au ridicule par l’éloquent publiciste, ne se relèveront pas de cette défaite.

Celui qui écrivait de telles pages, celui qui réparait si magnifiquement ses erreurs, serait revenu tout-à-fait, on peut le croire, à la tâche pacifique et féconde qu’il n’aurait jamais dû abandonner. Ah ! s’il avait pu voir tout ce qui a suivi, s’il avait pu assister aux conséquences et aux transformations du radicalisme, comme il se serait détourné avec dégoût ! ou plutôt avec quelle impétuosité il aurait marché droit à l’ennemi ! comme il aurait maudit les indignes héritiers de l’école hégélienne, lui qui déjà, il y a vingt ars, résistait au puissant Hegel ! La mort ne lui a pas permis de faire ce travail sur lui-même. Tout bien pesé cependant, et tel qu’il se présente à la postérité dans sa vie et dans ses écrits, il est bien de ce grand parti constitutionnel, de cette noble société libérale qui se rattache à l’affranchissement de 89, et qui, malgré ses fautes et ses malheurs, réussira, nous l’espérons, à se constituer sur une base solide. La démagogie a prononcé, il y a douze ans, l’oraison funèbre de Louis Boerne ; nous reprenons aujourd’hui le droit qu’elle usurpa. Écrivain et artiste, Louis Boerne occupe une place glorieuse dans la littérature de son pays ; il a rajeuni le style, il a réveillé l’imagination, il a indiqué des routes nouvelles où les générations survenantes sont entrées avec éclat. Il a conquis enfin à l’art, à la poésie, à la philosophie, à tous les travaux de la pensée, la place qu’ils doivent tenir, non pas dans le silence des écoles, mais au sein même de la vie sociale. Publiciste, il a été l’infatigable adversaire des abus, le propagateur des idées de réforme, le vigilant gardien de l’opinion. Eprouvé long-temps au service de cette révolution continue qui est la force des sociétés et l’impérieuse condition de leur existence, s’il a abandonné son poste dans une heure de crise pour se jeter dans les entreprises coupables, il a effacé ses fautes par ses regrets, il les a réparées par ses écrits, il aimait la France et l’Allemagne comme les deux patries de son ame : l’Allemagne et la France n’oublieront pas son nom.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.