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naturelles cette littérature sans nom d’auteur a en elle tous les renouvellemens et toutes les ondulations de la vie. Immuable dans son essence, elle change perpétuellement de contours, de voix, d’expression. On dirait une source féconde qui s’épand au loin en innombrables ruisseaux, prenant la couleur des lits qu’elle traverse, reflétant mille paysages, coulant tantôt à petites ondes, tantôt à pleines cascades. C’est toujours la même eau, ce n’est jamais le même spectacle.

Bien qu’il y ait de sérieuses différences entre la tradition rhythmée et la tradition parlée, autrement dit entre le chant et le récit, tous deux se rattachent évidemment à la même racine ; ce sont comme les deux ailes de la muse populaire. On a attribué à la tradition parlée trois formes primitives : selon que dominait l’élément imaginaire, historique ou religieux, elle a été appelée conte, chronique, légende ; mais sous ses trois formes, d’ailleurs souvent confondues, se révèle toujours une inspiration commune. Quelles que soient sa teinte ou ses broderies, la tradition a une tendance étrangère au sujet, au lieu, au temps, et, pour ainsi dire, humaine. Regardez bien, en effet, et vous reconnaîtrez derrière les mille fantaisies de son enveloppe les trois éternelles aspirations de notre existence terrestre : sortir des bornes du réel ; — être heureux ici-bas ; — vivre au-delà du monde visible. Le premier de ces instincts a créé les sorciers, les fées, les lutins, en un mot, tous les êtres surnaturels qui ont renversé les barrières entre le monde du fait et celui de la pensée du second sont nées les croyances aux trésors cachés, aux talismans, aux dons merveilleux. Le troisième a brisé les portes de la mort et rendu l’immortalité palpable en donnant une apparence aux ames disparues.

Voilà les véritables origines des contes populaires, celles dont vous retrouvez les traces jusque sous le wigwam de l’homme rouge : restent les détails particuliers dépendant des races, des religions ou des climats, les emprunts faits de peuple à peuple, les transmissions de fables et les mélanges d’inventions.

En France surtout, les exemples de ces mélanges sont nombreux. Là, en effet, l’harmonie ne provient point de l’uniformité, mais de l’association. La nation entière compose comme un immense orchestre où chacun fait entendre un son différent. Regardez aux quatre aires du vent, vous trouverez partout une origine particulière, une histoire différente. Au midi, ce sont des colonies grecques, des restes de municipes romains, des campagnes auxquelles l’Espagne a envoyé, par-dessus les Pyrénées, quelques souffles de sa poésie mauresque ; au nord et à l’orient, c’est la barbarie qui, après avoir labouré les populations avec l’épée, y a semé, comme dans une terre ouverte, ses sombres instincts mollis par les inspirations de la Germanie ; à l’occident enfin, c’est la muse scandinave qui arrive sur la voile bleue de ses drakars, et qui