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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/624

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souvenir du Moine de Saire ; dans les plaines de la Beauce, le conte de la Cruche vivante ; au fond des bruyères de la Sologne, la fable du Loup Guillaume ; le long des coteaux brûlés de la Provence ou du Languedoc, la chronique du Mariage du diable, et sur le penchant des Vosges l’histoire de Maître Jean.


II. — UN ANTIQUAIRE BAS-NORMAND.

Le charme que prennent les faits et les idées dans les lointaines perspectives du passé est un phénomène connu de tout le monde, mais qui, pour quelques hommes, va jusqu’à la fascination. Attirés, non vers un résultat particulier de la société antique, mais vers l’antiquité elle-même, ils aiment ce qui a été, comme d’autres ce qui sera. Pour les uns et pour les autres, en effet, c’est la même aspiration passionnée vers l’idéal : regretter le passé ou appeler l’avenir, n’est-ce point toujours protester contre le présent ? Toutefois l’ardeur de ceux pour qui la rouille des âges est un aimant a quelque chose de plus patient et de plus tenace. Semblables à ce vieux garde-chasse qui, promenant les voyageurs à travers les débris du château de Woodstock, leur explique les salles détruites, leur vante les tapisseries absentes et se découvre au nom des illustres maîtres depuis long-temps réduits en poussière, ils se font les pieux gardiens des siècles écoulés et mettent toute leur joie à en retrouver les traces. Ne leur demandez ni ce qui se passe aujourd’hui ni ce qui se prépare pour demain ; mais interrogez-les sur les croyances, les proverbes ou les contes des ancêtres : chaque pierre moussue dressée aux bords du chemin sera pour eux l’occasion d’une histoire, chaque vieux refrain chanté dans les pâtures réveillera un souvenir ; archivistes de la tradition vivante, ils vous feront parcourir le recueil de cette poésie populaire dont ils ont su recomposer, feuille à feuille, un curieux exemplaire.

Voyageant, il y a peu d’années, à travers la Normandie, j’avais pu, grace à une heureuse recommandation, lier connaissance avec un de ces hommes précieux. C’était un ancien soldat de l’empire, établi comme percepteur dans une bourgade du Cotentin. Bien qu’il n’eût jamais dépassé le grade de maréchal-des-logis, la flatterie communale lui avait décerné le grade de capitaine, qu’il avait d’abord accepté par distraction, puis subi par bonhomie. — Ils ont trouvé que cela faisait honneur à la paroisse ! me disait-il naïvement. En réalité, le titre imaginaire avait insensiblement absorbé le nom propre, et le percepteur avait fini par. Ne plus s’appeler que capitaine. Du reste, l’homme justifiait le grade, et la fiction semblait plus vraisemblable que la réalité.

La carrière militaire de notre percepteur avait commencé dans les rangs de ces héroïques soldats de la république, dont Napoléon sut