Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle s’y trouva prisonnière et en compagnie de plusieurs autres cruches placées sur le rebord d’une haute fenêtre. C’était précisément celle de Marie-Jeanne. Cette dernière venait de se mettre au lit, car il était déjà tard et toutes les lumières de la ferme étaient éteintes. Condamnée à rester captive, au moins jusqu’au lendemain, l’ame du sorcier entra dans un accès de colère qui imprima à son cachot une agitation convulsive. Elle ne pouvait s’accoutumer à la pensée de s’être ainsi laissé surprendre par son ennemi. Alors même que le hasard lui ouvrirait sa prison, qu’allait-elle devenir si elle ne retrouvait point son enveloppe, et où la chercher maintenant, comment la reprendre, à qui la demander ? Ces tristes réflexions furent interrompues par un bruit qui se fit entendre au pied de la fenêtre ; c’était Michel qui appelait avec précaution Marie-Jeanne. L’ame encruchée eut une inspiration diabolique. Parmi les dons qui lui avaient été accordés au sabbat se trouvait celui d’imiter à volonté toutes les voix. Elle résolut d’en faire usage, sinon pour arriver à la délivrance, au moins pour se venger. Les appels du jeune paysan s’étaient insensiblement élevés ; l’ame y répondit par un double éclat de rire. Le fermier leva la tête tout surpris.

— Entendez-vous ? c’est ce pauvre Michel, dit une voix que le jeune homme crut reconnaître pour celle de Marie-Jeanne.

— Il est donc en bas ? demanda une seconde voix à l’accent mâle et railleur. Michel leva vivement la tête.

— Il y a quelqu’un avec Marie-Jeanne, murmura-t-il stupéfait.

— Je crois qu’il nous écoute, reprit l’une des voix ; il va vous reconnaître, Baptiste.

— Baptiste ! répéta le jeune fermier.

Deux nouveaux éclats de rire se firent entendre. Michel recula pour s’efforcer de voir ; mais, ne pouvant rien distinguer, il interpella d’un ton indigné Marie-Jeanne sur ce tête-à-tête nocturne avec son rival.

— Ne vous fâchez pas, pauvre innocent, répondit la jeune fille, je l’ai fait monter pour causer de vous.

— Nous préparons ton mariage, ajouta la voix de l’amant.

— Malheureuse ! s’écria Michel en serrant les poings ; c’était donc un mensonge quand tu es venue tantôt me dire que tu voulais garder ta parole, et quand tu m’as décidé à faire ma paix avec le grand Pierre ?

— Ne fallait-il pas n’assurer de votre obéissance pour savoir si vous feriez un bon mari ? répliqua ironiquement la voix ; maintenant je suis sûre que je puis compter sur vous.

— Oui, oui, comptes-y, cria le fermier exaspéré, mais pour ta honte. Demain on saura dans le village à quelle heure tu reçois les visites de Baptiste ; tu seras chassée de toutes les honnêtes familles, et j’irai trouver le curé pour te faire mettre dans son monitoire.