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plus à revenir sur le passé nous voudrions le croire ; mais il faut bien le reconnaître que, jusqu’à présent, le mot n’a pas beaucoup ajouté à la chose. En fait de liberté politique, nous n’avons guère conquis que la réhabilitation de l’état de siége ; en fait d’égalité, le procédé a été profondément modifié, je l’avoue, mais nous n’en sommes allés, que je sache, ni mieux ni même beaucoup plus vite. Quelque prodigieuse rapidité qu’ait mise le gouvernement de février à appauvrir ceux qui possèdent le gouvernement de juillet n’en mettait guère moins à enrichir ceux qui ne possédaient pas. De 1830 à 1847, ne l’oublions pas, le revenu public, malgré la suppression ou la réduction de plusieurs branches de l’impôt, s’est accru de près de 40 pour 100, accroissement qui n’a aucun rapport visible avec celui de la population, et qui implique dès-lors un progrès correspondant dans la consommation, c’est-à-dire dans le bien-être des contribuables, et dans la production, c’est-à-dire dans leur avoir. Or, il n’est pas difficile de comprendre que cet immense progrès porte principalement sur les classes inférieures. Pour ce qui est de la consommation d’abord, il est évident que les classes riches ou aisées ont un maximum de besoins qu’elles ne dépassent, que peu ou point en devenant plus riches ou plus aisées, et qu’elles achètent, par exemple, dans l’une et l’autre situation, à peu près la même quantité de vin, de café, de drap, de toile. L’énorme développement qui s’est manifesté, de 1830 à 1847, dans la consommation, se limite donc presque entièrement à la classe ouvrière. Durant cette période, la classe ouvrière a ainsi marché plus vite dans la voie du bien-être que les classes riches ou aisées, qui restaient à peu près stationnaires. En ce qui concerne, d’autre part, la production, ce thermomètre des revenus particuliers, les classes riches ou aisées ont fait un mouvement de progression assez sensible ; mais ici encore les classes inférieures ont proportionnellement l’avantage. La production, à très peu d’exceptions près, laisse en effet moins de profits au capitaliste, qui en est le moteur, qu’à l’ouvrier, qui en est l’agent. Supposons qu’un capitaliste prête à un cultivateur 100 francs, et que celui-ci les consacre à ensemencer un champ de lin ; cette valeur primitive de 100 francs s’augmentera dans l’année, par suite de la transformation du lin sur pied en toile, d’une autre valeur de 1,000 à 1,200 francs, répartie sous forme de salaires sur les quarante ou cinquante ouvriers qui suffisent à cette transformation. Tout compte fait, le capitaliste qui aura prêté ses 100 francs n’aura gagné à l’opération dont il s’agit qu’un intérêt de 3 a 4 francs, tandis que chacun des ouvriers y aura gagné, en moyenne, un salaire de 24 à 25 fr. Je pourrais multiplier à l’infini les exemples. Si la production donne plus de bénéfices à l’ouvrier qu’au capitaliste, il en sera évidemment de même pour les progrès de la production. Sous le rapport du revenu comme sous celui du bien-être, en aisance