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et de liberté qui brisent tous les freins, renversent toutes les limites, et si les bornes même de notre nature n’y mettaient ordre, feraient de la terre, jusqu’à l’anéantissement du dernier homme, le champ de bataille de chacun contre tous et de tous contre chacun. Tous les progrès de l’humanité s’accomplissent autour du principe d’autorité : la marche de la civilisation est la série des efforts et des actes par lesquels les sociétés cherchent à améliorer leur gouvernement, c’est-à-dire à perfectionner dans leur sein les bases et les moyens d’action du principe d’autorité ; mais les sociétés sont ainsi faites, que chacun de ces progrès leur coûte une révolution et met leur existence en péril. Tel est le jeu des passions humaines que les réformateurs qui veulent améliorer le gouvernement social s’emportent à le détruire. Le besoin de perfectionner, le principe d’autorité enfante presque toujours des révoltes contre ce principe et provoque l’insurrection de l’esprit révolutionnaire. De là une perturbation dans les choses, suivie d’une longue et déplorable confusion dans les idées. Pendant un temps, les hommes semblent perdre le discernement du bien et du mal, du vrai et du faux. Ceux-ci couvrent de la légitimité du progrès accompli tous les moyens employés pour l’obtenir, ils glorifient les crimes de l’esprit révolutionnaire ; ceux-là s’irritent des résistances d’un pouvoir qui n’a pas saisi l’opportunité des réformes, ils proscrivent le principe d’autorité tout entier et s’acharnent à une destruction sans fin. Au XVIe siècle, au XVIIIe pendant la révolution française, les conséquences de la révolte contre le principe d’autorité sont les mêmes. Au XVIe siècle, il s’agissait d’amener l’église à la réforme d’abus disciplinaires ; mais on s’élève contre le principe d’autorité, on lui refuse l’interprétation du dogme révélé, on remet cette interprétation à la mobilité du jugement individuel : aussitôt s’échappe du sein des peuples « ce je ne sais quoi d’inquiet, » comme dit Bossuet, qu’ils ont au fond du cœur ; la démangeaison d’innover saisit tous les esprits, et le protestantisme se pulvérise en mille sectes contradictoires, qui livrent le christianisme mis en pièces aux mépris de l’incrédulité. La philosophie revendique d’abord le droit d’arriver, par l’indépendance de la raison et la liberté de penser, aux vérités que l’autorité religieuse révèle ; mais elle attaque bientôt le christianisme, toute religion révélée, et finit par les doctrines matérialistes, athées et sceptiques. Les promoteurs de la révolution française ne veulent qu’une constitution libre et le contrôle régulier du gouvernement par le pays : la révolution finit par la plus sanglante tyrannie que l’histoire ait jamais vue, et menace la société jusque dans la propriété et dans la famille. On comprend facilement que telle soit la conséquence fatale de toutes les insurrections révolutionnaires lorsqu’on regarde les élémens où les révolutions recrutent leurs forces, leur personnel, leurs armées. C’est un pêle-mêle d’esprits honnêtes révoltés