Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/688

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

682 BEVUE DES DEUX MONDES. MADELEINE, l’interrompant. Monsieur, permettez : ce n’est pas un métier honnête que de se planter à côté des bénitiers pour faire la cour aux dames. Ces galanteries de sacristain ont quelque chose de ridicule, sinon d’odieux. Je vous dis tout de suite ma façon de ▼oir sur cette matière, afin de vous épargner des frais d’esprit qui, si peu qu’ils doivent vous coûter, vous rapporteront encore moins. MAURICE. Avant de se mettre sur une si rude défense, une femme devrait peut-être se bien assurer qu’on l’attaque; autrement elle s’expose à montrer plus d’impa- tience que de modestie, et plus de pruderie que de réelle vertu. Votre jeunesse, madame, que révèlent fort gracieusement votre démarche et le son de votre voix, m’enhardit à vous parler comme je parlerais à ma sœur. Veuillez m’excuser. MADELEINE. De grand cœur, si j’ai eu tort, monsieur Vous alliez m’adresser une ques- tion, une demande, quoi donc? MAURICE. J’apportais à M. l’abbé Miller deux souverains pour ses pauvres. Je voulais vous prier de les lui remettre de ma part. MADELEINE. Moi? Pourquoi? Me connaissez-vous? MAURICE, riant. J’en serais bien fâché.. MADELEINE. Ah !... Comment cela? MAURICE. C’est que j’ai assez vécu déjà pour être instruit du respect qu’on doit dans le monde aux voiles, aux rêves et aux mystères. La manie qu’on a d’en faire des réalités est ce qui gâte principalement la vie. MADELEfNB. Qu’est-ce que cela veut dire? MAURICE. Il ne manque pas de gens de mon âge, madame, qui, vous voyant seule et vous devinant belle, essaieraient de vous suivre et de vous connaître. Quant à moi, je serais désolé de savoir le nom humain et positif de cette vision délicate qui m’est apparue glissant dans l’ombre sous les arcades sacrées, et que ma main a failli dissiper en la touchant. Voilà le seul souvenir que je veuille garder de cet instant; mais vous y ajouterez, madame, une douceur de plus, si vous dair- gnez vous charger de ma légère aumône. MADELEINE. Donnez. (Elle prend les deux pièces d’or.) Mais si vous vivez de poésie, monsieur, vous devez faire assez maigre chère, entre nous; car la poésie ne court point les chemins, que je sache. MAURICE. Madame, je vous assure que c’est une erreur. Permettez-moi de vous rappeler le vœu que tout le monde fait de vivre une heure dans certain épisode d’un ro- man favori, de prendre place parmi les personnages de quelque tableau préféré, et de respirer un moment le souffle idéal que le poète ou le peintre ont répand»