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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/691

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RÉDEMPTION. 685 c’est la coquetterie des cheveux blancs. — Voyons, ma fille, vous m’avez donné une commission pour les pauvres; n’en auriez-vous pas une aussi pour le maître de cette maison? Je m’en chargerais avec plus de joie encore. MADELEINE. Ah! monsieur Tabbé, vous y venez! Voilà ce que je craignais. Voilà pourquoi je voulais m’en aller. Hélas! je n’ai pour répondre à votre délicate charité que ma franchise bohème, ma seule vertu au monde... Monsieur le curé, je ne viens point me confesser; je ne crois ni à Dieu ni à diable; je crois aux pauvres parce que j’en vois, et je leur apporte cinq cents florins dont je n’ai que faire. Ne prêtez point d’autre sens à ma démarche. C’est un caprice d’imagination qui m’a passé ce soir, voilà tout. LE CURÉ, secouant la tête. Oh! oh! mademoiselle Madeleine! MADELEINE. Oh ! oh ! monsieur le curé, c’est comme cela. Ne cherchez point là le doigt de Dieu; il n’y est pas. LE CURÉ. Oh ! si fait, mademoiselle; c’est que vous ne vous y connaissez pas comme moi. Tenez, je gage que vous êtes venue à pied? MADELEINE. A pied? oui. LE CURÉ. Voyez- vous? MADELEINE , éclatant de rire. Eh bien ! où est le miracle? LE CURÉ. Vous riez d’or, mademoiselle Madeleine; mais le malade qui se sourit dans son miroir pour se trouver bonne raine s’abuse lui-même sans tromper l’œil de son vieux médecin. Je vais mettre le doigt sur votre plaie, mon enfant; ne criez point. Vous vous ennuyez. MADELEINE. Je m’ennuie, moi! Ah! Seigneur! à qui dites-vous cela? Savez-vous que je défie l’ennui de trouver la moindre issue par où il se puisse faufiler dans ma vie? Savçz-vous ce que c’est, monsieur le curé, que Madeleine du théâtre impérial? — C’est une fille de vingt-deux ans, libre comme l’air, et faite d’une certaine façon qui plaît sans qu’elle s’en mêle. Le soleil riait en plein midi quand elle est née; le soir de son début, le public, avant qu’elle eût parlé, l’applaudissait fol- lement sur la simple garantie de ses dents blanches et de sa jeunesse; les fleurs poussent le matin sur son tapis de pied, et pleuvent sur sa tête le soir; elle a sa cour comme les rois, et on ne lui parle qu’en vers comme aux dieux. Sa pré- sence anime toute fête, et il semble, quand elle s’en va, que les flambeaux s’é- teignent; c’est une créature aimée de la fortune, heureuse de vivre, et prome- nant à travers le monde ébloui et amoureux sa gaieté sans trêve, son insouciance éternelle. La nature m’a faite pour étinceler aux yeux, comme une pierre pré- cieuse, et cela est si vrai, que, quand je suis sérieuse une minute seulement, je fais la grimace. (Elle rit.) Aussi à ma première ride, pour être fidèle à ma des- tinée, je saurai que je dois mourir, et de bonne grâce je mourrai , les lèvres