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Pendant plusieurs semaines, elle soutient et continue la lutte, mais hélas ! elle perd sans cesse du terrain. La pauvreté de son fils, la douleur et la vieillesse de son père, s’avancent pas à pas et la forcent de reculer lentement jusqu’à la réalité. Que d’angoisses ! je ne tenterai pas même de les redire. Elle fut définitivement vaincue le jour où elle apprit de la bouche de son père que les ressources de la famille avaient disparu complètement, et que la rente viagère servie par Joseph avait été transformée en un capital prêté par un Juif et maintenant épuisé. Elle se résigna ; elle comprit qu’il fallait s’immoler. Se reprochait l’égoïsme qui lui a fait refuser pour George l’espoir d’une belle position, la pauvre mère s’apprête à se séparer de son enfant. Un soir, elle lui lit l’histoire biblique de Samuel ; puis elle accomplit son sacrifice. Pénible sacrifice ! pire déception ! Tandis qu’elle s’épouvante de la douleur qu’une séparation doit causer à George, l’enfant ne lui parle que du poney que lui donnera son grand-père, et sur lequel il viendra la voir. George va donc demeurer chez le vieil Osborne : tous les jours, sa mère s’assied au pied des grilles de Russell-Square, et tient ses regards fixés sur la fenêtre de la chambre qui renferme son trésor. Le dimanche, quand il se rend au service divin, escorté de sa tante et d’un valet de pied colossal, Amélie ne manque pas de se trouver à peu de distance de la chapelle pour le voir passer. Il y eut pour elle un jour de bonheur presque divin, quand de loin elle le vit tirer de sa poche et donner de lui-même une pièce de monnaie à un petit pauvre que le valet de pied chassait à coups de canne : « Dieu bénisse mon cher George ! » s’écria-t-elle dans son ame, et, après avoir fait à son tour son aumône, elle longea la grille du square pour entrer dans l’église : là, elle s’assit de manière à voir son enfant pendant qu’il mêlait sa petite voix aux chants de Handel, répétés par cent voix fraîches et pures qui remerciaient le Dieu créateur. — La jeune veuve avait de la peine à distinguer George ; un brouillard humide couvrait ses yeux. — elle était bien heureuse.

Simples annales de la veuve et de l’enfant, je ne m’excuse point de vous avoir reproduites avec amour dans vos moindres détails. Ceux qui préfèrent à ces tableaux la fange et l’écume de nos sociétés qui étouffent et meurent sous leur corruption brillante peuvent lire autre chose ; dans le temps où j’écris, les chefs-d’œuvre qu’ils aiment ne leur manqueront pas.


VI — ZÉRO DE REVENU ET DIX MILLE LIVRES STERLING DE DÉPENSES.

Si la morale et le sentiment vous déplaisent ou vous fatiguent, vous serez aussi charmés du chapitre qui va suivre que vous avez dû être mécontens de celui qui précède. Venez étudier Rawdon et Rébecca dans