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sûreté et notre ascendant. Voyez la Belgique, notre alliée la plus immédiate : nous avons d’une main, abdiqué tout droit sur elle pendant que, de l’autre, nous fomentions l’insurrection sur ses frontières ; elle nous craint sans nous estimer. Voyez l’Allemagne : la révolution que nous lui avons lancée s’est traduite aussitôt par l’idée d’unité, et l’unité pour elle, c’est l’armement sur le Rhin, le statu quo à Posen, la conquête en Italie. Voyez enfin la Pologne et l’Italie : vaincues, elles nous reprocheront l’encouragement que nous leur avons donné ; victorieuses, elles ne nous sauront aucun gré d’un succès qui ne nous aura pas coûté une cartouche[1]. Ces idées que nous avons déchaînées sur l’Europe sans y imprimer le sceau de notre loyauté ou de notre puissance, la Belgique nous les rendra en défiance, l’Italie et la Pologne en mépris, la Russie et l’Allemagne peut-être en boulets. Jamais, en un mot, de plus tristes contradictions ne se seront trouvées accouplées. Nous pesons sur l’Europe entière et nous n’avons jamais été plus isolés. Nous avons la paix à tout prix, mais avec les charges et les dangers de la guerre. Notre situation, en somme, c’est 1792 sans conquêtes, mais non sans coalition. Cette idée de coalition prochaine était naguère très répandue de l’autre côté du détroit, et M. Guizot n’était pas le dernier à la partager. Une chose nous rassure : c’est que l’Europe est maintenant plus malade que nous. Les masses, si désordonnées ailleurs, ont d’instinct repoussé chez nous les passions qu’on leur soufflait d’en haut ; nos partis modérés se reconstituent d’eux-mêmes ; notre politique extérieure, en retombant dans les mains des anciennes majorités, perd de plus en plus ce double cachet d’impuissance et de colère qu’une minorité lui avait imprimé. Pendant que l’Europe parodie 93, nous tendons sensiblement à recommencer 1830 et à représenter comme autrefois, en face de l’absolutisme et de la démagogie, l’ordre sans violence au dedans, la paix sans faiblesse au dehors. Quand je vois de pareilles tendances se dégager spontanément et comme par inspiration de l’anarchie de février, Il me semble que Dieu veut justifier encore le vieil adage gaulois et se montrer une fois de plus bon Français.

M. Guizot était lui-même assez rassuré sur notre situation intérieure proprement dite. D’après lui, la société française, ballottée, pendant quatre mois à tous les vents, a retrouvé en juin son lest. Les insurgés de juin, en prenant pour point de mire la propriété et la famille, lui ont clairement indiqué où était son principe conservateur. Notre forme actuelle de gouvernement, avec sa chambre unique, se prête-t-elle suffisamment à la consolidation de ce principe ? M. Guizot ne le croit pas ;

  1. L’expérience est déjà faite en Italie. L’Italia farà da se ! s’écriaient Piémontais, Florentins et Romains après leurs premiers succès. Le vent a tourné du côté de l’Autriche, et aujourd’hui les journaux italiens nous reprochent l’impuissance de Charles-Albert.