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pour introduire la philosophie dans ces régions populaires plus humbles en apparence, mais en réalité bien autrement glorieuses, par où les religions ont passé. Je suis donc avec curiosité l’impulsion que la pensée reçoit chaque jour de ces grands événemens dont nous avons été depuis un an comme assaillis à l’improviste. C’est la justification du vieux proverbe : À quelque chose malheur est bon. Malheureux, humiliés, nous l’avons été, je ne dirai pas devant l’Europe qui n’a pas de quoi se vanter de sa gloire, mais devant nous-mêmes, devant notre propre renommée. Nous nous sommes donné le spectacle d’un grand abaissement de nos idées et de nos caractères ; nous avons souffert dans nos fortunes, dans le calme de notre foyer, dans nos plans d’avenir ; nous nous sommes vus en un moment arrachés aux charmes d’une pacifique existence pour être précipités dans le tumulte et les hasards périlleux d’une vie militante. N’est-il pas vrai pourtant que nous commençons à reprendre en énergie ce que nous avons perdu en agrément et en sécurité ? Vivement secoués par une tempête imprévue, après le premier moment de surprise et de désarroi, nous sommes rentrés en nous-mêmes pour chercher des inspirations capables de suppléer à toutes nos vieilles théories submergées. Quoi qu’il puisse advenir, quelle que doive être la solution des difficultés sous le poids desquelles nous gémissons, la pensée a profité des rudes leçons qu’elle a reçues ; une force encore mal appréciée se dégage Dès à présent du fond des consciences ; des symptômes non point éclatans, mais du moins manifestes, montrent que le caractère privé, comme le caractère public, s’est fortifié au milieu de passions plus fortes, et il semble, en un mot, qu’un souffle plus puissant et parti de plus haut vienne à la fin ranimer notre vieille société languissante sous le règne trop prolongé du scepticisme.

L’homme n’est pas fait pour le bonheur, mais pour le devoir. Le bonheur l’affaiblit et l’énerve ; la lutte est sa vraie condition, car elle le fortifie et l’élève. Je puise dans cette pensée une consolation à tous les maux du présent, par-delà lesquels j’envisage quelque chose de supérieur, la conscience, la notion de devoir. Je ne saurais m’affliger de ces vicissitudes qui sont venues, comme un coup de tonnerre, nous réveiller au milieu de notre léthargie intellectuelle, et qui nous placent dans la nécessité de rechercher dans les replis de l’ame une science nouvelle pour les besoins d’une ère toute nouvelle. Je ne saurais m’affliger des événemens qui ont préparé ainsi la ruine de notre scepticisme et qui nous ont à notre insu lancés à la poursuite d’un idéal plus digne de nos efforts que le bonheur et le bien-être. Et combien ne suis-je pas heureux de trouver M. Cousin dans un sentiment pareil, grandement exprimé ! « Ainsi va le genre humain, dit-il, de forme en forme, de révolution en révolution, ne marchant que sur