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pleine poitrine, et qui, dans les notes de tête, a autant, de sonorité que de charme. Que ce brillant ténor donne maintenant à son chant l’expression et la vie, qu’il le nuance surtout de ces demi-teintes où il excelle, mais dont il amoindrit l’effet par des transitions trop rapides aux notes éclatantes, et il arrivera bien vite au premier rang, surtout s’il choisit, pour continuer ses débuts des partitions plus mélodieuses que Jérusalem. Il faut que Masset aborde franchement le répertoire de Duprez, dont la voix ressemble à ces fragmens de chapiteaux et de colonnes à l’aide desquels les érudits et les architectes reconnaissent le style d’un monument magnifique, mais écroulé.

Si la critique sincère n’a pas de plaisir plus réel que celui de pouvoir louer sans réserve un artiste ou une œuvre, il semble que ce plaisir soit plus vif encore dans ces momens de langueur et de souffrance où il faut, à celui qui déploie les ressources de son art, autant de courage que de talent. C’est à ce titre que nous avons suivi, avec une sympathie profonde, les généreux efforts du Théâtre-Italien depuis sa réouverture, et que nous avons applaudi avec enthousiasme à la belle reprise de la Gazza Ladra. Tout a été dit sur cette musique que M. de Stendhal, il y a vingt-cinq ans, caractérisait dans des pages si spirituellement admiratives, et qui est restée aussi jeune, aussi fraîche que si Rossini l’avait écrite hier. Mlle Alboni, qui avait chanté Pippo l’an dernier, paraissait cette fois dans le rôle de Ninetta. On a dû transposer pour elle certaines parties de ce rôle, écrit pour un mezzo soprano ; mais, bien qu’il y ait perdu, dans quelques passages, un peu de son éclat et de son effet, nous ne croyons pas que l’ensemble ait jamais été chanté avec une perfection plus exquise. Mme Malibran poétisait Ninetta ; elle s’élevait au pathétique le plus admirable dans la scène du signalement, dans le finale de l’arrestation, dans le beau sextuor du jugement. Mlle Alboni a eu le bon esprit de ne pas demander à son talent et à ses moyens physiques ce qu’il lui eût été difficile d’en obtenir, et cependant, dans la scène de la condamnation, la beauté de son chant a atteint jusqu’à l’expression dramatique. Actrice suffisante, elle a été cantatrice incomparable. Pour mentionner les morceaux où elle s’est fait applaudir, il faudrait citer la partition tout entière. Rappelons seulement le trio célèbre : O nume benefico ! le délicieux duo de la prison, le sextetto, la prière, où, sans mouvemens et sans gestes, elle a su émouvoir et attendrir par l’indicible suavité de ses accens. À côté d’elle, trois artistes ont mérité d’avoir une large part d’encouragemens et de bravos. Mlle de Méric, qui chantait le rôle de Pippo, est un contralto d’une distinction extrême ; sa voix manque encore un peu de force et de rondeur, mais elle a ce timbre frais et sonore, ce grain moelleux et charmant que rien ne remplace. Dans le ravissant andante du duo de la prison, povero Pippo ! ces deux voix se mariaient si bien, que la mélodie semblait portée sur deux ailes. Morelli n’a pas été au-dessous du sublime rôle de Fernando ; le genre sérieux lui convient mieux que le bouffe ; dans la Gazza, sa physionomie s’est animée ; sa belle voix de basse a pris une expression et une ampleur qui rappelait Tamburini. Enfin, Ronconi a interprété en acteur et en virtuose consommé le personnage du podestat ; à force d’art et d’esprit, il s’est joué des difficultés de ce rôle, qui exige une voix d’une sonorité et d’une souplesse juvénile, et, si le ténor eût été au niveau de ces artistes d’élite, rien n’eût manqué à l’éclat de cette magnifique représentation.