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de dona Anna ? L’ame vierge d’un enfant de génie est une source profonde qui s’alimente de toutes les impressions premières et d’où naissent ces créatures charmantes qui peuplent le monde de la fantaisie. Dante raconte dans la Vita nuova comment il se fit un grand jour dans son cœur, lorsqu’à l’âge de huit ans il aperçut pour la première fois cette Béatrice Portinari, qui a été le rêve et la gloire de sa vie. Goethe nous a conservé aussi le nom de la fille obscure qui est devenue plus tard, sous la main du poète, la Marguerite de Faust.

Après une courte maladie de Wolfgang, qui fut attaqué de la petite vérole, la famille quitta Vienne presque aussi pauvre qu’elle y était entrée, mais chargée de lauriers. Le talent du jeune Mozart s’était perfectionné il avait acquis plus de virilité. Les voyageurs revinrent à Salzbourg dans les premiers jours de janvier de l’année 1763. Le temps que Léopold Mozart passait dans sa paisible résidence était consacré à mettre en ordre les souvenirs qui lui restaient de ces aventureux pèlerinages. On appréciait les uns, on critiquait les autres ; on jugeait, on étudiait les œuvres consacrées, et puis on se remettait en route pour de nouveaux climats. Le 9 juin 1763, Léopold Mozart, sa femme et ses deux enfans, entreprennent un grand voyage en France. Ils traversent toute l’Allemagne, visitent les villes de Munich, d’Augsbourg, de Stuttgard, de Manheim, de Mayence, et dans toutes ces cours brillantes, qui possédaient des chanteurs italiens, des compositeurs célèbres, des chapelles richement pourvues d’habiles instrumentistes, Wolfgang excite un étonnement général par la diversité de ses talens et la fécondité de son imagination, improvisant tour à tour et avec une égale facilité sur le piano, sur le violon et sur l’orgue, dont son père lui avait appris à gouverner les pédales. Ils arrivèrent à Paris le 18 novembre 1763. Grimm, à qui ils étaient adressés, prit les Mozart sous sa protection. Il les appuya de son crédit et de son esprit auprès des philosophes du XVIIIe siècle, les présenta à Mme d’Épinay, à d’Holbach, dans tous les salons de ce monde à la fois sérieux, frivole et charmant. Grimm a deviné le génie de Mozart, et le jugement qu’il en a porté alors fait le plus grand honneur à son goût ainsi qu’à ses connaissances musicales. Reçue à la cour de Versailles, cette famille d’artistes fut admise à l’honneur d’assister au grand couvert du roi, où le jeune Wolfgang, placé à côté de la reine Leczinska, qui s’entretenait avec lui en langue allemande, ne cessa de lui baiser les mains avec une familiarité charmante. Mozart fut présenté aussi à Mme de Pompadour, et cette orgueilleuse sultane eut le mauvais goût de se refuser aux gracieuses caresses que Wolfgang aimait à prodiguer : « Pourquoi donc, s’écria l’enfant de génie dont la fierté égalait la tendresse, ne veut-elle pas m’embrasser ? L’impératrice Marie-Thérèse m’a bien embrassé ! »

Le 11 avril 1764, la famille Mozart partit pour l’Angleterre. Haendel