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d’un vague désir d’indépendance, le retour à l’ordre d’une ame égarée et battue par l’orage, on peut s’écrier avec le poète :

Amans, heureux amans, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines[1].

Nous voici arrivés au finale du premier acte, page importante, qui fait époque dans l’histoire de la musique dramatique. Lorsque parut Don Juan, il n’y avait rien de comparable à ce morceau pour la complication des parties, des mouvemens, des modulations et des épisodes mélodiques, si ce n’est le premier finale du Mariage de Figaro, qui l’avait précédé d’une année ; en ceci comme en beaucoup d’autres choses, Mozart n’a donc eu de modèle que lui-même.

Ce fut un compositeur napolitain, Nicolas Logroscino qui, vers 1750, essaya le premier de terminer les actes des opéras bouffes par des morceaux d’ensemble d’un mouvement rapide, développant une succession de sentimens divers sur un thème unique. Il fut bientôt surpassé dans la conception de ces finali comme dans tout le reste par Nicolas Piccini, dont l’opéra bouffe la Cechina ossia la buona figliuola, composé à Rome en 1760, obtint un succès d’enthousiasme et fit le tour du monde. Les deux finali de la Cechina, qui furent considérés par les contemporains comme une grande innovation musicale, sont pourtant des morceaux assez simples. Anfossi, élève ingrat et jaloux de Piccini, dont il emprunta les idées, sut agrandir le plan et la forme du finale dans l’opéra l’Incognita perseguitata, qu’il composa à Naples en 1773, et qui eut également un très grand succès ; puis vinrent Cimarosa et surtout Paisiello, qui, dans le quintetto de la Cuffiara, dans le finale de l’Idolo Cinese, et bien mieux encore dans le délicieux septuor du Roi Théodore qu’il écrivit à Vienne en 1784, surpassa tout ce qu’on avait fait avant lui en ce genre. Cependant, si les Italiens ont créé l’opéra buffa et sont restés les maîtres dans l’art d’exprimer en musique l’entrain, la gaieté et la diversité des caractères comiques par des morceaux d’ensemble d’une facture élégante et compliquée, c’est à Gluck qu’appartient la gloire d’avoir traduit le premier, par des masses vocales et instrumentales le cri pathétique de la passion. Sans doute, Marcello dans quelques uns de ses admirables psaumes, Haendel dans ses oratorios immortels, avaient déjà réussi à peindre, par des effets de rhythme et de sonorité, l’exaltation lyrique de l’ame ; mais le chœur d’Armide, — Poursuivons jusqu’au trépas, — et celui du second acte d’Orphée sont les deux seuls morceaux d’ensemble vraiment dramatiques qu’on puisse citer avant les beaux chœurs que Mozart a mis dans la partition d’Idomeneo et surtout avant le finale de Don Juan.

  1. La Fontaine, fable des Deux Pigeons.