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subdivisés chacun en autant de nuances, de mouvemens et de tonalités ; qu’il survient d’émotions diverses dans l’ame des personnages. Constamment logiques, les personnages développent, au jour de la lutte suprême, les conséquences du caractère que, dès la première scène, ils ont accusé.

Dans une belle salle du palais de don Juan éclairée à giorno, on voit une table somptueusement servie et des musiciens tout prêts à égayer de leurs concerts le souper du maître. Celui-ci s’assied en chantant avec désinvolture que ce monde ne doit pas être une vallée de larmes, et que, quand on est riche, on a raison de se divertir. Les musiciens du petit orchestre entament alors un petit air élégant dont le rhythme à six-huit pétille comme les vins généreux que Leporello ne cesse de verser dans la coupe avide de don Juan, qui s’épanouit et rayonne à ce banquet de la vie où il a toujours été un fortuné convive. Au milieu de fraîches bouffées d’harmonie et de gais propos de table qu’il échange avec Leporello, dont il se plaît à surprendre la gourmandise, survient dona Elvira tout éplorée. Plus amante qu’épouse, toujours inquiète sur le sort de celui qui a troublé son cœur et sa destinée, elle vient faire un dernier effort pour le ramener à de meilleurs sentimens et détourner le coup qui le menace. Ses prières, ses larmes, ses imprécations, qui attendrissent Leporello, n’arrachent à don Juan qu’un sourire moqueur et un éloge magnifique du vin et de la femme, gloire et consolation de l’humanité. Tout cela forme un trio plein de verve, de contrastes et de passion.

En se retirant désespérée, dona Elvira pousse un cri d’effroi dans la coulisse qui se propage dans l’orchestre et en agite les profondeurs. « Va voir ce que c’est, » dit don Juan sans s’émouvoir davantage. Et Leporello, revenant tout effaré, raconte qu’il a vu la figure du commandeur, dont il imite la marche pesante et cadencée. Il serait impossible d’exprimer par des paroles l’agitation fiévreuse qui règne dans l’orchestre pendant tout ce dialogue. Voulant s’assurer de la cause de cette frayeur, don Juan prend une bougie et va lui-même au-devant de son convive, qui frappe à la porte à coups redoublés. L’entrée de la statue est annoncée par une succession de longs et lourds accords en ré mineur que nous avons déjà entendus au début de l’ouverture et qui ébranlent le sol de leurs vibrations formidables. « Tu m’as invité à souper, me voici, » dit le commandeur. Et, sur un ordre de don Juan qui ordonne à Leporello de préparer un nouveau souper, l’esprit de la Mort lui crie : « Arrête ! Ce sont d’autres besoins qui m’amènent ici. Je t’invite aussi à venir partager le pain dont je me nourris ; viendras-tu ? — Je viendrai, » répond don Juan avec une intrépidité que rien n’arrête. Et, pendant ce dialogue sublime, les accompagnemens reproduisent les progressions chromatiques, les dissonances âcres et terribles