public en France. Nous croyons qu’une des principales doit être imputée au rôle même que jouent les fonctions publiques ; elles sont recherchées par trop de monde, elles s’étendent à trop d’objets, elles absorbent en elles-mêmes trop d’emplois naturels de l’activité privée, elles sont astreintes peut-être à une discipline trop étroite et qui les sépare insensiblement de l’esprit général du pays. On pourrait se divertir à tracer en quelques traits le tableau des phases habituelles de la vie de tout homme qu’on appelle bien élevé en France. Ce tableau serait instructif, et je suis sûr que le lecteur y reconnaîtrait ou lui-même ou son voisin.
On entre au collège dès les premières années de la seconde enfance. À quelque carrière qu’on se destine, au collège, l’éducation est la même ; Elle porte tout entière sur des études qu’on appelle libérales, fort élevées et fort nobles assurément, mais dont le mérite est précisément de détourner l’esprit du côté pratique, positif, subalterne, si l’on veut de la vie. Grace au régime même des études, grace aux excitations constantes de l’émulation, on ne rêve guère, au collège, qu’une carrière brillante. Tout ce qui a tournure d’industrie privée ou tout ce qui sent la spéculation commerciale déplaît à des esprits nourris des inspirations de la philosophie et de la poésie antiques. Au bout de huit ans de travaux plus ou moins assidus, après un examen plus ou moins heureux, mais toujours superficiel, duquel on a le droit de prétendre à tout, ce qui vous fait croire que la société a le devoir de tout vous donner. Quand on en est là, si l’on n’est pas avocat ou médecin, il faut absolument être fonctionnaire. Il n’y a que ces trois manières de vivre qui soient dignes de l’éducation qu’on a reçue. D’ailleurs, dans un pays où il n’y a pas de grandes associations, ou, quand il s’en forme, la loi les voit de mauvais œil, il n’y a que les fonctions publiques qui aient grand air. Le moyen de faire autrement que de solliciter un emploi !
Si les emplois se distribuaient sur place, si chacun avait l’espérance de pouvoir être placé dans son propre pays, dans sa ville natale, en s’y assurant une position honorable, en y étendant la considération de sa famille, en se faisant valoir, en un mot, au yeux de ceux qui peuvent vous apprécier, on prendrait patience et on attendrait. En comptant autour de soi les places remplies et les places vacantes, on comprendrait qu’il ne peut y en avoir tout de suite pour tout le monde : on saurait ce qu’on peut espérer ; mais non, grace au mécanisme de la centralisation, toutes les places de France se distribuent à Paris. C’est dans le cabinet d’un directeur qui ne vous connaît pas, qui ne sait pas qui vous êtes, qui n’a aucun moyen de le savoir, qu’il faut venir déposer une demande qui va se perdre dans des milliers d’autres. Ce directeur a peut-être deux ou trois mille places en France à sa disposition. C’est très peu, sans doute, pour toutes les pétitions qui l’accablent ; mais