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pas le gouvernement responsable de tous les mécomptes d’ambitions déçues. Dans des emplois publics, il est possible de consulter un peu plus l’esprit et les habitudes des localités, et de se relâcher un peu de cette règle sévère dont le résultat est pour ainsi dire de déraciner partout l’administration et de lui faire prendre son point d’appui uniquement sur le pouvoir central de Paris. Tout cela peut se faire, nous le pensons, par une combinaison de lois et de règlemens administratifs faite en vue de quelques principes un peu réguliers. La prochaine assemblée y est appelée tout naturellement. La constitution lui soumet, dans les lois organiques, la révision nécessaire de toutes nos grandes institutions. Elle n’a donc pas à craindre, comme l’auraient pu légitimement les chambres de la monarchie, de soulever imprudemment les questions et d’agiter l’esprit public. Pour réparer, pour conserver, elle est obligée de tout discuter. Si ce n’est pas le moment des réformes, quand viendra-t-il ? Pour une telle tâche, le concours de l’auteur des Questions constitutionnelles est indiqué, la France voudra se l’assurer. C’est là qu’en prenant congé de lui nous espérons que bientôt le public le retrouvera.

Aussi bien, il a dit le véritable mot : il s’agit de savoir si nous serons à la France de Louis XIV ce que l’empire des Justinien et des Léon était à celui de Trajan et d’Auguste. Le Bas-Empire français est-il commencé ? Bien des gens le disent douloureusement, et, il faut l’avouer, l’affaiblissement des croyances, la fréquence et la stérilité des révolutions, les symptômes alarmans de dissolution sociale, en suggèrent naturellement l’idée. Pour nous, nous le confessons, toute la question est de savoir si, dans ces violentes épreuves, l’esprit de la liberté politique doit périr ou se répandre et se naturaliser en France. Si, contre les dangers qui nous menacent, nous trouvons notre salut dans la vigilance de l’esprit public, dans le concours franc et spontané du moindre citoyen à l’œuvre de la défense sociale, dans le réveil de la vie politique, par conséquent, sur chaque point du territoire, tout n’est pas perdu, quelque chose même est gagné ; mais si, de guerre lasse, il faut retourner encore une fois au pouvoir absolu, et cette fois à un pouvoir absolu sans tradition et sans gloire, c’est un abaissement moral, symptôme et prélude d’un abaissement politique irrémédiable. Nous n’avons plus assez de foi en aucun homme pour pouvoir servir honorablement. Une nation qui ne peut plus avoir de superstition pour le pouvoir n’a plus, pour rester digne, d’autre ressource que d’être libre. Un état social dans lequel le despotisme est nécessaire sans être respecté, où les pouvoirs changent sans cesse de main et les formes de l’obéissance demeurent, cela s’est vu sans doute dans le monde ; mais c’est l’agonie d’un grand peuple.


ALBERT DE BROGLIE.