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vous aurez bientôt de ses nouvelles, si elle ne s’est pas saisie, par avancement d’hoirie, du seul héritage que j’aie à lui laisser, la paresse paternelle. Il m’est avis cependant qu’elle commence à copier pour vous de fort jolis vers qu’on lui a adressés, et qui, sauf erreur, ne sont pas d’Alexandre Dumas, mais de Fontaney[1].

« Vous me demandez ce que je fais, mon cher ami. Je vous répondrois volontiers à la normande par une autre question : Que diable voulez-vous qu’on fasse ? — Je me repose tant que je peux du passé et du présent, en attendant le repos infaillible de l’avenir, qu’aucune puissance humaine ne sauroit me disputer. J’écris au coin de mon feu pendant le jour, pour me tenir éveillé, les contes de fées que je compose pendant la nuit pour m’endormir, et je trouve en me couchant que j’ai vécu un jour de plus, ce qui est une grande conquête sur le temps.

« Pour vous forcer à penser à moi, je voudrois bien que vous m’envoyassiez dans vos momens perdus quelques-uns des vers que vous n’avez pas publiés. Vous savez que j’ai un reste d’ame pour les sentir, et un cœur presque tout vivant encore pour aimer ce qui vient de vous. L’entretien des Muses a d’ailleurs cela d’excellent, qu’il fait oublier qu’on existé, ou du moins qu’il fait rêver qu’on existe autrement que par les rapports communs de l’homme, qui ne sont qu’infirmité et misère. Voici une autre recommandation que je confie à votre mémoire, pour le cas où quelque occasion imprévue d’y avoir égard se rencontreroit sur votre chemin. Je sais bien que les anciennes éditions de Basselin ne se trouvent plus chez vous, et qu’il ne faut pas compter sur le bonheur d’en déterrer un exemplaire ; mais les poésies de Vauquelin de La Fresnaie ne sont pas tout-à-fait si rares, et on m’a dit dans le temps que M. de La Fresnaie, de Falaise, que vous devez bien connoitre, les avoit au moins en triple. Or, je ne regarderois pas à une bonne pincée d’écus pour me les procurer, moyennant que l’exemplaire fût louable d’intégrité et de conservation, notre manie de bouquinistes étant inexorable pour tous les défauts du matériel des livres[2].

« Je vous quitte à regret pour me replonger dans d’assez tristes rêveries. Le mauvais état de ma santé s’est tellement aggravé depuis trois jours, qu’il ne m’a pas fallu moins pour vous écrire ce petit nombre de lignes. Puissent-elles vous trouver mieux portant, plus heureux que moi, et bien convaincu que personne ne vous est plus sincèrement attaché que votre inviolable ami !

« CHARLES NODIER.

« Toute ma famille se rappelle à votre souvenir et se joint à moi pour vous prier de faire agréer nos respectueux sentimens à Mme de Chênedollé. »

Malgré la séduction de ces caresses, nous l’avons dit, Chênedollé n’était

  1. Fontaney, l’un des poètes de l’école moderne, mort trop tôt (voir la Revue des Deux Mondes, juin 1837).
  2. Voilà le bibliophile passionné qui se trahit au naturel sous ces airs d’indifférence. En effet, le Vauquelin de La Fresnaie est un des plus rares et des plus recherchés entre les poètes du XVIe siècle.. L’exemplaire de Nodier (car il s’en était procuré un), qui avait appartenu à Pixéricourt et qui s’était vendu 80 francs à la vente de ce dernier, ne s’est pas vendu moins de 153 francs à la vente de Nodier lui-même.