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auspices d’une compagnie de négocians, ou qu’enfin, comme la caravane de Santa-Fé, elles doivent leur origine à la sollicitude même du gouvernement, les résultats de ces expéditions ne sauraient trouver aucun pays indifférent. C’est toujours une étape plus éloignée, un jalon plus avancé dans les déserts au profit de la civilisation. Si le livre de M. Kendall a obtenu le succès que nous avons constaté, c’est qu’en dépit de longueurs et de négligences regrettables, il donne sur les caravanes américaines d’exacts et utiles renseignemens auxquels ne manque ni l’intérêt politique, ni même, à certains égards, l’intérêt romanesque.

Que l’on se figure des déserts immenses, inconnus, coupés de précipices, de ravins et de forêts sans issue, habités ou plutôt parcourus sans cesse par des guerriers sauvages, ennemis acharnés de la race blanche : c’est à travers ces déserts qu’il faut pousser, en suivant le cours du soleil, trois ou quatre cents chariots lourdement chargés. Je n’indique là pourtant qu’une partie des obstacles qui attendent une caravane américaine dans les prairies. Restent la soif, les maladies, de funestes erreurs de route, et parfois la trahison. Combien d’épisodes curieux, combien de dévouemens obscurs, de prouesses ignorées, ont en le ciel et la savane pour seuls témoins ! Ces caravanes ont aussi leurs traditions, leurs légendes mystérieuses ; les vieux chasseurs s’entretiennent autour des foyers, pendant les haltes, du coursier blanc des prairies, que nul cavalier ne peut joindre, si bien monté qu’il soit. Ils racontent encore la tradition de l’Indien Pawnie, qui, au retour d’une lointaine expédition de chasse, trouve le camp de sa tribu abandonné, et sa jeune maîtresse restée en l’attendant sur le seuil de sa hutte, la seule demeurée debout. Le visage de la jeune femme est bien pâle, mais c’est que son cœur est bien triste. Tous deux se mettent en route pour rejoindre la tribu, dont le camp n’est pas loin. Au bout d’une heure de marche silencieuse, les deux jeunes amans aperçoivent la fumée des wigwams, mais il n’est pas convenable que la vierge pawnie rentre avec son fiancé dans son village. L’Indien l’y précède ; là, il apprend que sa maîtresse est morte depuis deux jours. Le guerrier vole aussitôt à l’endroit où il a laissé sa fiancée ; la nuit est venue, et, sur la pierre où elle était naguère assise, le Pawnie ne retrouve plus que le paquet qu’il avait confié à la jeune fille. La plainte lugubre du vent dans les cotonniers répond seule aux gémissemens du guerrier indien.

Tels sont les récits, les souvenirs du désert. Cette vie nomade du marchand, du pionnier américain, a un charme qui se devine même à travers les plus incomplètes descriptions. C’est ce charme que nous voudrions essayer de rendre, en suivant M. Kendall à travers les dramatiques incidens de son pèlerinage.