Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1092

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scalpés et horriblement mutilés. Cependant, à en juger par les traces encore fraîches du combat, les Américains avaient dû vendre chèrement leur vie. Le lieutenant Hull n’était pas tombé avant le trentième coup de lance ; et quant à un homme vigoureux, nommé Mayby, dont le cadavre était près du sien, le canon brisé d’une carabine que sa main serrait encore avec force disait assez qu’après l’avoir déchargée, il avait résisté jusqu’au bout. Le cœur de l’un des cinq autres avait été arraché de ses entrailles, et, si les Indiens n’avaient pas été forcés de fuir, tous les cadavres auraient sans doute subi cette dernière mutilation.

Un détachement d’hommes armés eut mission de procéder à l’ensevelissement de ces tristes dépouilles, tandis que le corps principal reprenait sa marche vers le Quintufue qu’on disait être un des affluens de la rivière de Palo-Duro (le bois dur). Là, les hommes purent enfin apaiser largement la soif qui les dévorait depuis quelques jours, et le soir un conseil solennel fut tenu entre les officiers. Les circonstances étaient critiques. La caravane était égarée sans guide dans un pays inconnu. Les provisions, presque insuffisantes jusqu’alors, étaient épuisées ; déjà depuis quelques jours, chaque bœuf abattu pour les besoins de l’expédition était dévoré, cuir, entrailles et sang. Des peuplades ennemies entouraient les Américains, toujours prêtes à égorger les détachemens qui s’éloignaient pour chasser du corps principal, et les prairies devenaient de plus en plus impraticables aux chariots. Dans cette conjoncture, il fut décidé qu’un parti de cent hommes s’avancerait jusqu’au Nouveau-Mexique, soit près de Santa-Fé ou du Rio-Grande, soit encore près du chemin tracé par les caravanes de Saint-Louis. Une fois arrivés là, ces hommes devaient revenir sur leurs pas avec des vivres frais pour ceux de leurs compagnons restés en arrière. M. Kendall accompagna ce détachement, placé sous les ordres du capitaine Sutton.

La troupe avait à traverser le pays tout entier des Indiens Caïguas, les meurtriers du lieutenant Hull. Dans l’après-midi du dernier jour d’août, elle se mit en route. On marchait silencieusement et en bon ordre. Sur tous ces visages amaigris et animés par la fièvre, on lisait la même expression de souffrance et de résignation virile. Les Texiens traversaient une plaine immense sans arbres et sans buissons. Au bout de quelques heures de marche, on aperçut cependant une tache noirâtre qui se détachait vivement sur la morne uniformité du désert, et les yeux exercés des chasseurs eurent bientôt reconnu un bison endormi. Pour ces hommes livrés, depuis plusieurs jours aux angoisses de la famine, une pareille capture était précieuse ; mais, pour atteindre l’animal, il fallait franchir une énorme distance, et cela sans donner l’éveil au bison. Qui oserait se charger d’une aussi difficile mission ? Tom Hancock fut seul jugé digne de la mener à bien. Quatre autres chasseurs,