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que protéger équivaut la plupart du temps à humilier, à tenir l’état protégé dans une condition d’impuissance absolue. Vainement les traités auront stipulé de belles garanties, vainement le suzerain aura joint les promesses aux conventions écrites : tout droit qui n’est point appuyé sur la force risque bien d’être un droit illusoire, et dans cette circonstance plus qu’en toute autre. Les îles Ioniennes, en passant sous le protectorat de l’Angleterre, avaient semblé à la hauteur du gouvernement constitutionnel. La vie municipale ancienne et en quelque sorte innée dans cette race hellénique, les rapports directs et suivis des îles avec la civilisation de l’Occident, les préparaient à l’exercice des libertés constitutionnelles. En leur imposant son protectorat, l’Angleterre leur octroya donc une législation politique ; mais c’était une de ces constitutions habilement combinées qui, de la liberté, ne donnent que l’ombre. Point de liberté de la presse, point de liberté électorale. Le sentiment démocratique, excité par le voisinage de la Grèce émancipée, le sentiment national développé peu à peu au contact de toutes les idées qui tendent depuis plusieurs années à l’exalter, ont fini par arracher aux Ioniens des paroles de mécontentement. Ils demandaient non point à secouer le poids gênant du protectorat, mais à participer du moins aux avantages constitutionnels de la puissance protectrice. Une supplique très sensée et très vive, écrite par un jeune avocat de Corfou, M Zambelli, et adressée au comte Grey, avait formulé, dès l’année dernière, les griefs et les vœux de la population ionienne. Le gouvernement a fini par accorder la liberté de la presse. Le pays n’a point tardé à en user : sous le titre significatif de Patris, Corfou a vu naître un journal d’opposition nationale en grec et en français, dont le principal but est aujourd’hui la liberté électorale. Cette dernière liberté ne saurait maintenant se faire long-temps attendre. Il ne faut pas se dissimuler toutefois qu’en accordant de nouvelles franchises aux îles Ioniennes, on leur donne des moyens de développement dont, avec l’ardeur propre à leur race et leur patriotisme hellénique, elles ne manqueront pas de profiter. Elles voudront à bon droit s’associer de plus près à la civilisation naissante et aux destinées politiques du royaume de Grèce, et, si la Grèce prenait plus de force, cela pourrait un jour devenir une grosse question pour l’Angleterre. En attendant, cette grande puissance, tranquille au dedans, malgré la misère des peuples, par la force merveilleuse de ses traditions et de son esprit public, forte au dehors et influente par l’activité, le bon sens, la résolution de sa diplomatie, assiste, sinon avec beaucoup de franchise, au moins sans faiblesse, au spectacle de l’universelle agitation de l’Europe.



V. de Mars.