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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/13

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les navires qui s’y pressent de tous les points du monde. Sur les hauteurs, autrefois inhabitées, qui dominent l’entrée de la baie, au milieu des bois et des jardins, toute une ville de maisons de plaisance s’élève, oisive et silencieuse, au-dessus de la ville affairée, qui fait sans cesse monter vers le ciel, avec la vapeur de ses usines, le bruit joyeux de son activité commerciale. Entre les rives escarpées de l’Hudson, entre les bords plus adoucis de la Rivière de l’Est, les bateaux à vapeur se croisent en tous sens et annoncent leur passage par des colonnes de fumée auxquelles répond de loin, dans la campagne, la traînée blanchâtre des locomotives, car New-York est le centre des chemins de fer de l’Union. Puis la nuit, quand les feux de la ville sont éteints, quand les falots des navires ne brillent plus dans la baie, le phare de Sandy-Hook, les signaux des montagnes de Neversink, éclairent encore de leurs feux tournans ou fixes la marche des navires qui cherchent à franchir la passe des Narrows.

La baie de San-Francisco est loin de présenter un aspect aussi animé ; mais la race anglo-américaine a signalé sa présence en Californie par une activité qui ne peut manquer d’amener une transformation prochaine. En attendant, je ne puis m’empêcher de préférer aux brillans aspects de New-York les paysages solitaires de San-Francisco. Le long des deux bras de terre qui s’avancent pour protéger l’enceinte de la ville mexicaine, la mer brise en gerbes écumantes jusqu’au pied des cèdres qui la bordent. Au milieu de la baie, qui ressemble à un lac tranquille, quelques navires, perdus dans l’immensité, dessinent leurs mâts isolés sur l’éternel azur du ciel mexicain. Ici c’est un bâtiment américain peint en blanc, indolemment balancé par la houle, comme un albatros gigantesque ; plus loin, un baleinier, aux flancs souillés de sang et de graisse comme le tablier d’un boucher, se répare entre deux campagnes, et la mer disparaît autour du bâtiment sous un essaim blanchâtre de goélands affamés. Au loin, des îles nombreuses s’élèvent comme des obélisques ou s’allongent comme des corbeilles de verdure au-dessus des eaux. Enfin, au pied de hautes collines et à l’extrémité du promontoire qui ferme la rade du côté du nord, quelques maisons en pisé, aux murs blanchis, se groupent au bord de la mer comme une troupe de mouettes prêtes à prendre leur essor. C’est la ville mexicaine de San-Francisco, telle du moins que je l’ai vue il y a peu d’années. Si, de la hauteur où elle est située, on étend ses regards, par-delà l’enceinte de la baie et l’embouchure des deux fleuves, le Sacramento et le San-Joaquin, jusqu’à la ligne orientale de l’horizon, on aperçoit une longue chaîne de montagnes que couronnent d’épaisses forêts de cèdres centenaires, et derrière lesquelles se dresse le sommet escarpé du pic du Diable. C’est un splendide paysage, mais où il ne faut chercher aucune de ces traces d’activité