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n’est pas la seule qui se soit révélée dans notre temps. Il en est, une autre, plus brillante et plus animée : c’est celle qui, pour arriver à la parfaite intelligence des grands hommes qu’elle admire ou interprète, parcourt, leurs livres à la main, les contrées qu’ils ont parcourues et chantées. On comprend tout ce que cette méthode doit avoir de vivifiant et de fécond ; ce n’est plus la lettre morte à laquelle on s’attache dans des pages plus ou moins pâlissantes à travers l’éloignement des âges c’est le poète lui-même, c’est sa vie, c’est sa figure que l’on retrouve, que l’on encadre dans les sites qui servirent d’horizon à son regard et à sa pensée. Il semble que l’on regarde avec ses yeux, que l’on respire avec son souffle, que l’on sente avec son génie, que les beaux lieux qui l’inspirèrent nous rendent la trace de ses émotions, l’empreinte de ses pas, l’écho de sa voix. Ainsi comprise, la critique n’a plus rien à envier à la poésie. C’est ce pèlerinage à la suite des poètes aimés qui donne un singulier charme au livre de M. Ampère intitulé : la Grèce, Rome et Dante. Plus qu’un autre, M. Ampère devait être séduit par cette façon de comprendre et d’interpréter Homère, Virgile ou Dante. C’est en effet un de ces heureux esprits qui n’arrivent pas aux beautés poétiques en commentateurs, par voie indirecte, lente ou détournée, mais qui réfléchissent eux-mêmes ces beautés comme un pur cristal, qui se trouvent en communication permanente avec tout ce qui élève et ennoblit l’ame, et qui, penchés sur les sources limpides, au lieu d’en discuter la saveur et la transparence, aiment mieux s’y abreuver à longs traits. Dans la Poésie grecque en Grèce, dans les Portraits de Rome à différens âges, dans le Voyage dantesque, M. Ampère s’est fait tout à la fois notre cicérone à travers les paysages qui nous parlent encore de ces œuvres immortelles et à travers les œuvres où ces paysages ont laissé quelque chose de leurs lignes et de leurs teintes ; il nous a donné la géographie pittoresque de la poésie antique et de la poésie du moyen-âge. On le voit, cette critique-là n’a plus rien de commun avec les vieilles routines ; elle ne cherche pas, à l’aide d’un glossaire ou d’une scholie, le sens d’un passage ou d’un vers : elle se fait compagne de voyage de ces hommes divins dont les accens l’ont fait tressaillir ; elle s’assied à leur foyer, elle s’abrite sous leur toit. Au lieu d’alourdir leurs chants de ses formes didactiques et pédantesques, c’est elle qui s’assimile à leurs impressions, qui participe à leur enthousiasme. Tel est, selon nous, le genre d’émotion exquise que fait éprouver l’ouvrage de M. Ampère ; ce n’est pas une appréciation, une étude d’Homère, de Virgile ou de Dante : c’est un coin de leur ciel, un parfum de leur patrie, un souffle de leur inspiration primitive, que le critique, nous allions dire le poète, a recueillis sur leurs pas, et dont il baigne leurs sublimes poèmes comme d’une lumineuse auréole.

Lorsqu’après avoir la l’ouvrage de M. Ampère, on ouvre les Souvenirs de France et d’Italie de M. le comte Joseph d’Estourmel, on sent que l’on passe d’une œuvre d’art à la causerie d’un homme du monde. À Dieu ne plaise que nous soyons tenté d’en médire, nous qui nous plaignons souvent de la scission de la littérature et de la société polie, nous qui regrettons sans cesse l’influence qu’exerçaient autrefois ces spirituels intermédiaires, peu soucieux du rôle officiel d’écrivains, mais fort capables d’indiquer le ton et la mesure ! On reconnaît, dans le livre de M. d’Estourmel, une vieillesse enjouée, souriante, se trompant quelquefois sur la valeur des idées et des souvenirs, mêlant à des traits ingénieux