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Est-ce que ces chefs n’étaient pas en quelque sorte désespérés d’avance et condamnés à succomber presque sans coup férir ? Regardez au contraire à Milan, dans le camp de Radetzky : la nouvelle de la dénonciation de l’armistice arrive, c’est une joie universelle ; les soldats, les officiers, remplissent de leurs démonstrations triomphantes les rues et les théâtres de la malheureuse capitale lombarde ; ils vont crier vive notre père Radetzky ! sous les balcons du vieux Maréchal, et ce sont eux sans doute qui lui dictent la précision éloquente de son ordre du jour : Marchons sur Turin !

Ils y ont marché : les généraux de Charles-Albert ont encore une fois perdu la partie à la suite des mêmes fautes ; leur ligne d’opérations a été coupée avec la même audace et le même bonheur. Après une campagne de deux jours, le roi abdique, et il faut un nouvel armistice pour arrêter l’ennemi victorieux à distance de Turin. Il ne s’agit plus désormais que d’obtenir la paix à des conditions qui soient tolérables. La France et l’Angleterre ont là une tout autre négociation que celle qu’elles avaient entreprise à Bruxelles. Ce n’est plus un allié à grandir, c’est un allié à sauver. Que la France s’y prenne donc de son mieux, qu’elle combine ses meilleures chances ; il y va pour elle d’un intérêt particulier. La diminution de cet utile voisin qu’elle a de l’autre côté des Alpes ne serait pas moins qu’une diminution de sa propre liberté. L’Autriche, on doit le dire, a d’avance donné les promesses les plus rassurantes ; certaine du succès, elle a prévenu qu’elle n’en abuserait pas ; elle n’entend rester en Piémont que jusqu’à la paix. Aussi vienne la paix au plus vite ! car cette occupation, même restreinte et provisoire, si ce ne peut être précisément un affront pour nous, ce n’en est pas moins un ombrage. Hâtons-nous, en notre propre nom, d’effectuer la paix par les moyens les plus actifs.

Telle était l’intention de l’ordre du jour proposé par le comité des affaires étrangères pour fixer l’opinion de l’assemblée nationale dans cette grave occurrence. Le ministère accueillait cet ordre du jour, qui l’autorisait à s’appuyer au besoin, dans son action diplomatique, d’une action armée sur un point quelconque de l’Italie. Le ministère acceptait ce concours de l’assemblée, mais ne le sollicitait pas encore. M. Billault, M. Ledru-Rollin, se sont dépêchés hier de le lui disputer en annonçant qu’ils lui refusaient leur confiance. M. Flocon demandait qu’en dépit du changement des circonstances, l’assemblée renouvelât son ordre du jour du 24 mai, et persistât à voter « l’affranchissement de l’Italie. » Aujourd’hui, M. Thiers, dans un discours étincelant de vérités, a montré que l’on n’avait point à faire la guerre, la guerre européenne, pour une simple question d’influence, et que ce n’était pas la faute des hommes modérés qui gouvernent à présent, si les exagérations de l’année dernière leur léguaient une situation pénible pour nos susceptibilités. Il a prouvé que la voie des négociations était encore la meilleure dans l’intérêt du Piémont. L’assemblée a voté l’ordre du jour du comité des affaires étrangères.

Pendant que ces terribles événemens s’accomplissent à nos portes et les ébranlent de leur contre-coup, nous-mêmes, hélas ! que faisons-nous ici ? Nous le disions tout à l’heure, telle est l’étrange fatalité de notre situation par rapport au dehors, qu’on n’en tire même point de quoi passionner les esprits. Vainement M. Ledru-Rollin se remuait hier de toute sa force pour réussir à s’échauffer lui-même ; la question n’en devenait pas plus brûlante, et elle est restée bel et bien