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Enfin il poussa un cri. — Tenez, dit-il, ne voyez-vous pas ces empreintes ? Je reconnais les chevaux ferrés des maraudeurs blancs et les sabots sans fers des maraudeurs indiens. Tout cela est de mauvais augure, car c’est le meurtre qui s’associe au pillage.

Le chasseur s’interrompit tout à coup : un chant plaintif, qui ressemblait à celui du weep-poor-will, s’élevait dans le silence de la nuit.

— Les sons partent de cette vallée, tout près de nous, reprit le chasseur. C’est singulier, jamais cet oiseau n’a crié ainsi.

Je montrai alors au Canadien le squatter, qui, dès les premières notes de ce chant étrange, avait laissé tomber sa tête dans ses mains, et semblait s’affaisser sous la douleur. Cet état de prostration ne dura qu’un instant. Le squatter releva la tête et répondit au chant mélancolique de l’oiseau mystérieux par la même plainte bizarrement cadencée ; puis il écouta avec angoisse, comme si sa mort ou sa vie dépendait de ce qu’il allait entendre.

— C’est quelque signal de famille, me dit le chasseur. Le squatter aura reconnu la voix de son fils.

Une réplique, mais si faible qu’elle dominait à peine le murmure de la brise dans les bas-fonds, confirma l’opinion de Tranquille.

— C’est lui, c’est Terry ! s’écria le squatter, et il s’élança vers l’endroit signalé par le chant du weep-poor-will. Quelques minutes ne s’étaient pas écoulées, qu’en effet nous avions rejoint le pauvre jeune homme. La malédiction paternelle semblait avoir porté prématurément ses tristes fruits ; Térence était étendu, immobile, évanoui, sur le sol pierreux. La colère de Township s’était dissipée ; le rude Américain, redevenu père, se pencha sur le corps de son fils, dont la lune éclairait faiblement le pâle visage. Township, par suite de cette arrière-pensée de vengeance qui se mêle toujours à la douleur de l’homme à demi sauvage, épiait sur la physionomie de Térence une lueur de vie passagère ; il avait hâte d’interroger le mourant et de connaître les auteurs du meurtre. Au bout de quelques instans, le jeune homme put donner à son père à voix basse une courte explication dont je n’entendis que ces mots : « La nuit de l’Arkansas. » Ce dernier effort avait épuisé le jeune homme, et, quelques secondes après, Township ne serrait plus entre ses bras qu’un cadavre.

Le squatter n’était pas homme à verser long-temps d’inutiles larmes sur la victime dont il connaissait maintenant le meurtrier. À la vue du corps inanimé de son fils, le désir de la vengeance se réveilla terrible chez lui. Avant tout, cependant, il fallait soustraire le cadavre aux profanations indiennes. Nous lui fîmes un brancard avec nos fusils, et nous reprîmes le chemin du lac. L’intrépide chasseur, préoccupé de quelques traces suspectes, se sépara de nous malgré nos instances, en promettant de ne pas tarder à nous rejoindre. Township, le romancier