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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/286

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deux officiers français leurs misérables railleries sur le Moïse de Michel-Ange nous fait rejeter avec dédain toutes les pensées et tous les livres qui sont réputés mystiques. Puisse la France, qui repousse avec tant d’énergie les doctrines subversives, repousser enfin les vieux débris usés de ces doctrines négatives qui l’ont si long-temps infectée, et comprendre que les unes enfantent les autres, et que la négation, lorsqu’elle se réalise et sort des demeures de l’esprit, s’appelle destruction ! Puisse-t-elle se tourner vers des sources plus fraîches et ne plus condamner sans examen les doctrines qui tendent à remplacer la négation par l’affirmation, la destruction par la croyance, et la sécheresse par la vie !

Il est probable que long-temps encore nous entendrons parler d’abîmes du mysticisme, de folies du mysticisme ; mais certainement, s’il y a un mysticisme qui est absurde, il y en a un autre qui ne l’est pas. Oui, le mysticisme est une folie lorsqu’il ne porte pas le cachet de la réalité, de la vie humaine, et qu’il erre dans le monde décousu des songes, au milieu des chimériques apparences. Oui, le mysticisme est un abîme lorsqu’il cherche dans un monde fantastique ce qui est tout près de nous et dans notre univers. Seulement, ceci, il faut le dire, n’est plus du mysticisme, c’est simplement de l’hallucination. Toutefois, s’il se rencontre un philosophe qui, transfigurant les choses de ce monde, nous les montre brillantes d’une clarté divine ; si, dans les choses politiques, sociales, religieuses, il ne se contente pas de vivre au jour le jour et de se laisser emporter, habile nageur, au courant des événemens, au flux et au reflux des opinions ; s’il a placé son idéal au-delà du temps qui passe ; si, dans l’art, il sait s’élever jusqu’à la contemplation du beau, et si, dans l’attitude et dans le rayon, au lieu d’admirer la grace de la pose et le jeu de la lumière, il sait retrouver la lumière infinie, le moule universel ; si, dans ses écrits et dans ses livres, voyant autre chose que le succès, il se condamne à paraître étrange ; si l’originalité de son esprit sait découvrir des routes nouvelles et faire jaillir des sources inconnues et cachées ; si son être est plein d’élans ; si, en un mot, il aime et admire les choses naturelles, parce qu’il les considère comme un reflet des choses supérieures et mystérieuses, ce philosophe peut s’appeler mystique, et n’est point fou ni absurde, mais profond et sage au contraire. C’est là le véritable mysticisme, et, quelle que soit l’étrangeté de ce qu’il raconte et de ce qu’il affirme, il a droit à la sympathie, à l’admiration et à la reconnaissance des hommes.

Mysticisme, pour la plupart, signifie hallucination, extase, vision, état hors nature. Le mysticisme est au contraire une chose très naturelle. Il conviendrait d’abord de séparer le mysticisme religieux du mysticisme philosophique. Le mysticisme religieux procède entièrement par l’élan, par la prière ; le mysticisme philosophique procède