Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un effet analogue, mais plus doux, et où l’éternité n’apparaît plus comme une borne fatale, mais comme un lit de repos, se reproduit dans les admirables biographies que Carlyle a écrites. La vie du personnage qu’il raconte sort mystérieusement de l’oubli et du néant comme une rivière dont la source est inconnue, puis s’accroît et s’étend en nappe limpide au cours tranquille, réfléchit sur ses bords d’étranges scènes, des animaux et des êtres bizarres, des paysages tantôt sombres, tantôt gracieux, et enfin s’en va sans bruit tomber dans l’éternité et mêler ses petites et faibles eaux à cet océan.

M. Carlyle est, en matière religieuse, ce qu’on pourrait appeler un teacher, instructeur religieux. Le mot teacher a une signification protestante très marquée ; le teacher est le prophète véritable du protestantisme. Ce n’est pas l’homme inspiré, c’est l’homme pénétré de religion ; ce n’est pas l’homme enthousiasmé par la religion, mais celui qui en connaît et peut en détailler l’excellence, la nécessité et les salutaires effets. C’est celui que l’on peut appeler le sage entre les hommes religieux ; il est à la fois religieux et humain. Il n’a pas besoin, comme le prêtre, d’être toujours dans l’atmosphère du temple, mais il peut se mêler à la vie sociale et à tous les détails de la vie domestique ; il peut prêcher, ou enseigner, ou écrire des livres, ou exercer une profession quelconque. Il peut causer avec toute espèce d’hommes ; il peut même plaisanter et rire avec vous.

M. Chasles, parlant de Carlyle dans cette Revue même, a cité une phrase d’un journal anglais qui lui demandait, à propos du livre intitulé Passé et Présent, s’il était un puritain pour traiter son époque avec tant d’amertume. Il l’est, en effet, mais il est ce qu’on pourrait appeler un néo-puritain ; il l’est, je crois, beaucoup par colère et par système. L’aspect général de notre temps, les dégoûts que ce spectacle excite en lui, le culte exclusif des intérêts matériels, l’absence totale de foi religieuse, font de lui un non conformiste dans notre XIXe siècle. C’est ce spectacle et l’indignation qu’il lui a causée qui explique les singuliers et fulminans commentaires dont il a entremêlé les lettres de Cromwell, lesquelles lettres, entremêlées de ces commentaires, font un peu l’effet de l’histoire du chat Murr entremêlée de la biographie de Jean Kreisler. Ce livre, qu’on lui a reproché et en termes très amers, est le produit de cette indignation causée par ce qu’il appelle l’athéisme de ce siècle. « Que savez-vous faire aujourd’hui ? dit-il amèrement à l’Angleterre ; vous avez oublié vos pères, votre foi religieuse, votre Olivier Cromwell et le cri de ralliement avec lequel s’accomplit cette révolution que vous appelez encore glorieuse révolution. Vos voies et moyens de gouvernement sont empreints d’athéisme. Dans cette terre du puritanisme, aucun reflet de la foi religieuse de vos ancêtres ne se répand maintenant sur les affaires humaines. Et aussi voyez, que se passe-t-il ?