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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/304

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qu’ils ne sont pas compris, que leur royaume n’est pas de ce monde. Je le crois bien ! leur répond à tous M. Carlyle, car votre royaume n’est d’aucun monde, et votre système pourrait bien se prêcher parmi non entités, jamais parmi les réalités. Il n’aime pas les esprits systématiques, ceux qui ont toujours dans leur poche une philosophie préparée d’avance, qu’ils allongent ou raccourcissent selon les circonstances, ceux qui craignent de toujours trop dire ou de ne pas dire assez, qui mesurent la pensée avec compas, comptent les battemens de leur cœur comme un chirurgien qui sonde une poitrine affectée, et pèsent leurs inspirations comme avec des balances ; ces gens-là lui font l’effet d’ingénieurs des mines intellectuels. Il déteste tous ceux qui, à l’exemple de Bentham, font de l’ame un casier à catégories d’utilité, mesurent l’homme, le divisent, en prennent un fragment et disent : Le reste n’est pas d’ici-bas, et par conséquent d’aucune valeur pour nous. Pour lui, les faiseurs de systèmes sont des pharisiens, les utilitaires des publicains, les constructeurs de formules des moulins à vent qui tournent dans le vide. Ce que j’aime, dit-il aux utilitaires, c’est l’idéal ; ce que j’aime, dit-il aux systématiques, c’est la réalité, c’est la vérité. La vérité est dans ces deux choses, idéal et réalité, elle n’est pas ailleurs. Aussi il y a une réflexion qui revient souvent quand on lit les écrits de Carlyle, c’est qu’en réalité il n’y a de bon et de vrai que ce qui est inspiré ; car cela est à la fois idéal et réel. Ce n’est pas le principe ni l’idée froidement exprimés qui le touchent, c’est la parole inspirée, c’est l’expression véridique (utterance) sortie vivante du cœur de l’homme, et qui va, par cela même, atteindre ses dernières profondeurs, car elle parle clairement à son esprit et va saisir directement l’ame de son ame.

Thomas Carlyle n’appartient à aucun parti. Plus d’un radical pourra se demander avec un sourire dédaigneux, après avoir lu Carlyle : « Eh quoi ! cet homme n’est-il pas un aristocrate ? Sa doctrine ne pourrait-elle pas être appelée système du torysine transcendantal ? Quoi ! est-ce un homme avancé, celui qui traite les chartistes de blockheads (étourneaux, je traduis poliment), le chartisme de folie, les repeaters d’insensés, les socialistes de sacs à vents (windy men). — Mes amis les radicaux, répondra Thomas Carlyle, je ne suis pas un sans-culotte de l’école de Jean-Jacques, je ne suis pas de l’école adamitique en matière de gouvernement. Que des hommes se promènent dans les rues de Londres portant le drapeau du chartisme et demandant la charte en cinq points, croyant par là se délivrer de tous leurs maux, c’est un triste spectacle. Quant à vous, messieurs les socialistes, je vous préviens simplement que vous n’avez pas d’ame. » Le même homme, il est vrai, qui traite ainsi les socialistes et les radicaux, ne ménage point les classes industrielles. « Vous n’avez pas d’autre évangile que l’évangile