Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soudain, aussi imprévu, aussi profond. Jamais il n’y eut, une aussi grande distance de la veille au lendemain. Jamais pareille surprise ne fut faite à des hommes d’état, à des partis, à un peuple tout entier. Cette surprise universelle est le caractère le plus frappant de la révolution de février ; c’est celui qui démontre avec le plus de force qu’elle était inévitable. La révolution nous a appris, en effet, que dans le régime de 1830 les partis ne comprenaient pas les institutions ; les institutions ne mordaient pas sur la société, et la société s’ignorait elle-même. Dans une pareille incohérence, non-seulement la révolution était inévitable, mais j’oserai dire qu’elle était salutaire ; car, si le régime de 1830 eût duré plus long-temps, il serait arrivé ces deux choses : premièrement, des partis intéressés à la conservation de la société auraient cependant continué à la saper par l’opposition qu’ils faisaient au gouvernement ; deuxièmement, la société aurait continué à ignorer ses périls. Or, si un pareil état de choses se fût prolongé, au jour de l’explosion il ne fût plus resté pour la société frappée à mort ni un moyen de défense, ni un espoir de salut.

Aussi la première œuvre de tous les hommes qui ont l’intelligence de l’avenir doit être de combattre et d’étouffer dans ce qu’elles ont d’exclusif les idées des partis de la veille. Autant les fauteurs de troubles mettent de soin à maintenir les anciennes dénominations des partis, autant nous en devons mettre à les effacer. Il y avait avant le 24 février un parti républicain. Imperceptible minorité, il a voulu continuer à rester un parti isolé le jour où la France a reçu d’une révolution la forme républicaine. C’est sa tactique de prétendre que les anciens partis royalistes, c’est-à-dire l’immense majorité du pays, ont fait comme lui, n’ont rien appris ni rien oublié, se sont pétrifiés dans leurs préjugés et dans leurs rancunes, et nourrissent contre la république une hostilité invincible. On a beaucoup ri des ultras de 1815 établissant des divisions si sévères entre les purs et les indignes. À Coblentz, en 1790, les émigrés qui étaient arrivés le lundi se rassemblaient à l’auberge des Trois-Couronnes pour siffler ceux qui arrivaient le mardi, lesquels à leur tour sifflaient ceux qui n’arrivaient que le jour suivant. Le parti républicain s’est couvert, sous nos yeux, du même ridicule. Il a sifflé la France parce qu’elle n’est arrivée que le lendemain. Nous avons eu les républicains de la veille, de l’avant-veille et de naissance, comme nous avions eu les royalistes de la première et de la deuxième émigration. On eût dit que ces citoyens craignaient d’être trop nombreux, tant ils étaient exclusifs. Ils le craignaient, en effet, dans l’intérêt de leur égoïsme. Ils voulaient que le nom qu’ils écrivaient sur leur chapeau leur donnât le privilège d’exploiter la France, tant que la France porterait le même nom au frontispice de ses lois. Voilà pourquoi ils cherchent encore à faire croire qu’il y a toujours des partis qui travaillent