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et des écoles qui aspirent à organiser la révolution est de chercher dans un système de philosophie la légitimité de leur politique ; cela signifie qu’aux incertitudes, aux obscurités, aux luttes qui troublent naturellement la politique proprement dite, sont venus s’ajouter pour nous l’entêtement, la confusion inextricable, la guerre éternelle des controverses métaphysiques. Ce que, depuis le XVIIIe siècle, on appelle en France philosophie a été et demeure le dissolvant moral le plus actif de la société.

Cette assertion n’est point sous ma plume le cri de haine et de colère d’un ennemi de la philosophie, c’est la conclusion d’un observateur attristé qui considère la situation intellectuelle et morale de la France.

La philosophie, les idées, l’idée, n’ont fait que diviser, n’ont jamais rapproché ni réuni. La philosophie dit aux hommes qu’ils sont tous égaux devant elle et qu’ils ont tous le même droit à avoir chacun leur philosophie. La souveraineté de la raison individuelle ainsi proclamée détruit dans les ames le principe d’autorité, qui est la cohésion morale des associations humaines. Pas un système n’a posé un principe sans qu’un autre système n’ait érigé à côté le principe contraire. Quand l’intelligence d’un pays se déchire de la sorte, écartelée par toutes les contradictions, il ne peut plus y avoir pour lui d’unité morale. On ne peut expliquer que par cette multiplicité des sectes l’obscurité dans laquelle elles étaient restées pour la masse du public et le peu d’attention qu’elles se prêtaient entre elles. Je voudrais pouvoir décrire l’anarchie intellectuelle dans laquelle la révolution a trouvé la France : chez les défenseurs de la société, une école catholique et une école universitaire ; dans le camp des révolutionnaires, l’illuminisme poétique, philosophique et politique de MM. Quinet et Michelet, le rationalisme de M. de Lamennais, le socialisme jacobin et chrétien de M. Buchez, le socialisme alexandrin de M. Pierre Leroux, la scholastique mathématique et révolutionnaire de M. Jean Reynaud, le socialisme industriel, polytechnicien et païen des saint-simoniens et des fouriéristes, le socialisme hégélien de M. Proudhon, le communisme de M. Cabet. Toutes ces écoles avaient deux caractères communs : chacune passait son temps à détester et à combattre celle qui lui était la plus voisine, et aucune ne s’informait ou ne parlait des idées et des progrès des autres. On ne comprend pas que ces systèmes destructeurs, qui en vingt-quatre heures sont devenus l’épouvante d’une nation civilisée, aient été si peu connus, si peu surveillés, si peu combattus jusqu’au moment où ils ont failli triompher. Au lieu d’avertir la France, ce travail de décomposition philosophique lui cachait la dissolution qui s’accomplissait dans son sein ; les idées tombaient en poussière, et de cette poussière soulevée il ne sortait que des nuages.

Mais l’aveuglement universel devait aller plus loin. Au milieu de